Faux-semblants
Ce jour-là, il fait beau. Le soleil brille hardiment, le feuillage des arbres se balance doucement, quelques nuages flottent inconsciemment. L’herbe est verte et les oiseaux picorent.
Laura le sait car elle occupe une place près de la fenêtre. Son attention dérive et elle divague. Son regard se perd dans les couleurs éclatantes de la nature ; elle cherche l’inspiration.
Ce qu’elle aime, en philosophie, c’est écrire des poèmes. Son esprit, bercé par les mots illusoires du professeur, s’assoupit un peu et les lettres lui viennent facilement. Elle trouve un sujet, choisit le style – hop, la rime lui vient et le rythme s’impose. Sa plume glisse sur le papier lisse – frissons. Son écrit est une chanson, elle en est l’interprète. Son écrit est un dessin, elle en est l’illustratrice. Son écrit est une œuvre, elle en est l’artiste.
Au bureau, M. Simon explique ce qu’est la métaphysique. Phrases monotones et mots ennuyeux. Il désespère de voir ses élèves couchés sur leurs tables ou discuter à voix basse. Il ne dit rien.
Les rayons chaleureux qui filtrent par la fenêtre ricochent contre le métal des pieds des tables. Les particules de poussière s’illuminent de tous leurs feux ; les cheveux des élèves captent la lumière et les reflets qu’ils donnent sont fascinants.
Au fond de la classe, la chaise en équilibre sur ses deux pieds arrière et son dos appuyé contre l’armoire qui contient la télé, Max observe. Les courbes des objets, arrondies, anguleuses, linéaires. Les teintes vives, chaudes, froides, merveilleuses. Les rainures du bois des bureaux. Le grain de peau de Solène.
Puis il se penche, concentré. Il dégage ses yeux de ses mèches rebelles, se frotte la joue pensivement, attrape au hasard un crayon. Esquisse, barre, recommence. Il essaie de capter la magie de ce qui l’entoure. Les traits verts s’accumulent, il change de crayon – rouge écarlate, bleu indigo. Les couleurs se mêlent, s’associent, forment un tout lumineux et plein de vie. Les formes se reconnaissent plus ou moins, mais le dessin est réussi. Max est fier de lui ; et à nouveau, il observe la classe.
La craie crisse au tableau et M. Simon grimace. Il fait un pas sur le côté, se retourne, pose une question. Personne ne répond et il bouillonne de l’intérieur. Malgré ça, il continue son cours, courageusement, parce qu’il le faut bien.
La craie fait de la poussière et recouvre le tableau. La rainure est pleine de bleu, de vert, de jaune, de rouge. Autant de couleurs que l’enseignant n’aime pas. Capucine non plus ne les aime pas, pas plus que Nathan. Eux, ils aiment la sobriété – le blanc, le noir, le simple.
Jambes croisées, mains sur les tables. La rangée du milieu, studieuse, se tait et écoute. Elle ne participe pas, leurs regards semblent éteints – sont-ils vraiment attentifs ? Personne ne peut le dire. Les notes s’accumulent sur les cahiers et les blocs-notes. Elles restent vagues, cependant. Comme un mirage dans le désert, comme la brume sur l’océan. Elles donnent le change.
Les yeux de Thomas suivent avidement le parcourt du professeur, mais il n’écoute que d’une oreille. Il croit que cela ne se voit pas – il ne pourrait pas être plus en tord. Il est assis près du mur, mais même là, rien ne peut être dissimulé – tout se voit. L’incompréhension, la frustration – l’inattention.
Ainsi, les plus sérieux éléments font semblant. Ils entendent, écrivent. Rêvent éveillés. Pensent au contrôle qu’ils auront l’heure suivante ou aux équations qu’ils ont résolues dans la matinée.
Le talon de la chaussure de M. Simon claque sur le carrelage, entre les rangées. Il débite son cours – il a perdu foi en ses élèves. Sa matière mérite tellement mieux qu’eux. Et puis, qui sont-ils, au juste ? Platon n’est-il pas censé être universel ? Aristote ne doit-il pas intéresser ? Descartes ne peut-il pas être dérangeant, percutant ?
À son époque, chacun appréciait la philosophie comme il se devait.
La chaussure claque, encore et encore, et martèle le discours monotone de l’enseignant. Et soudain, une main se lève. Il reste là, stupéfait – il pense à refermer sa bouche. Il ne connait pas l’élève qui participe – connait-il l’un de ses élèves ?
- Pouvez-vous me rappeler le sens de l’inconscience, s’il-vous-plaît ? Je n’ai pas bien compris.
L’élève attend, attentive. Elle pense que son prof est un peu bête, à la fixer comme ça – mais peu importe. Elle est assise près de la fenêtre et tient un crayon – M. Simon passe et ne voit pas un mot de philosophie écrit sur sa feuille. À la place, des termes qui finissent par -ence ; essence, naissance, clairvoyance… inconscience. Il comprend. Il soupire discrètement mais finit par répondre.
Car, en ce vendredi 4 novembre, une question lui a été posée – et au fond de lui, il se promet de retenir la date.