Lorsque une sonnerie stridente retentit, je savais que ce n'était pas mon réveil. Il était beaucoup trop tôt. J'avais la sensation que je venais juste de m'endormir. Les nuits étaient moites et chaudes à Paris cet été là. Péniblement, je sortis de mon lit pour me diriger dans le salon. Un coup d’œil vers l'horloge, il était 3h30. La sonnerie retentissait toujours, et faisait battre le sang dans mes tempes. J'allais avoir besoin d'une aspirine.
« Allo, mais qu'est ce que tu fais !? Décroche quand on t'appelle ! » C'était Laurence, ma voisine de bureau à la rédaction.
Elle avait cette capacité incroyable de pouvoir enchainer plusieurs longues phrases sans reprendre sa respiration, capacité dont je me serais bien passée à cette heure-ci. Je ne compris qu'une seule injonction: « habille toi, et vient au journal, tout de suite ! ».
Laurence était d'une nature agitée, mais elle ne m’appelait jamais au milieu de la nuit. La seule fois où elle l'avait fait, c'était 2 ans plus tôt, lorsque le Mur était tombé. Il devait se passer quelque chose de grave. Quelques minutes plus tard, je parcourais les rues de Paris sur ma bicyclette, ma précieuse sacoche contentant mon calepin et mon stylo sur l'épaule.
La porte du journal n'était pas fermée, mais les lumières du hall étaient éteintes. Les lampadaires de la rue me permirent de rejoindre l’ascenseur sans me cogner.  Le bureau de la rédaction du troisième étage était en ébullition, tous les journalistes, pigistes, photographes, et j'en passe étaient là, cheveux ébouriffés, café à la main. Comme pour ne pas réveiller les voisins, tout le monde chuchotait, dans un bourdonnement feutré. Je me dirigeais vers mon bureau, où Laurence m'attendait, une tasse fumante posée sur la table.
« Nous avons reçu un appel d'Aleksey, ça bouge à Moscou. » m'expliqua t elle. « On dit que des émissaires sont partis vers la résidence d'été du président pour lui demander de signer une lettre de démission. Tu te rends compte !! On vit peut être un moment historique ! »
Depuis le départ en vacances de Gorbatchev et sa femme sur les rives de la mer noire, un groupe de dirigeants soviets s'agitaient et préparaient quelque chose. Les réformes du président ne plaisaient pas à tout le monde. Notre reporter sur place avait plusieurs contacts bien placés, et nous transmettait jour après jour les informations qu'il obtenait.
« Aleksey nous a aussi parlé d'un communiqué qui aurait lieu tôt ce matin, vers 6h, sur Radio Moscou. »
Je notais scrupuleusement tout ce qu'elle me disait, les premières phrases écrites à la hâte sont souvent les meilleures. Il était 4h maintenant, encore 2h à attendre avant cette éventuelle annonce officielle. Dormir n'était plus possible, entre la ballade en vélo, le café, et toutes ces informations, mon corps était pleinement éveillé. Je décidais de vérifier l'état de ma machine à écrire, une Remington des années 40 qui fonctionnait comme au premier jour. Les rubans étaient neufs, changés la veille, et le papier posé à côté. Elle était prête à recevoir son prochain article, je n'aurais pas à me soucier d'une panne aujourd'hui. Mes autres collègues avaient tous demandé des ordinateurs, mais je n'arrivais pas à me faire à ces écrans. Je préférais voir les lettres s'imprimer directement sur du papier, sentir l'odeur de l'encre et entendre le bruit des touches au rythme du mouvement de mes doigts. Tant que l'URSS serait debout, je garderais ma machine, je m'amusais à dire il y a quelques années, une autre façon d'exprimer « lorsque les poules auront des dents ». Je songeais qu'il allait me falloir une autre blague pour défendre ma Remington.

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