[Nyme & Sailor Serenity] Cache-Cache

---

J’atteignais les fonds marins et sentais la pression augmenter à chacun de mes mouvements. Quelques bulles de gaz tentaient en vain de remonter vers la surface et s’éclataient sur mon passage. M’avaient-ils réellement abandonnée ? Le courant avait-il été trop puissant pour leurs nageoires ? J’étais désormais si seule, une proie désirée dans un océan inconnu, et j’ignorais où les battements de mon cœur me conduisaient. Après de longues batailles contre les flux écrasants des eaux atlantiques, je découvrais enfin quelque chose qui semblait être la preuve objective d’une possible vie dans les environs. Je m’approchais rapidement de ces carcasses grisées, rouillées par le temps. Du bois en décomposition logeait encore sur les sols délabrés. L’eau, d’ordinaire si pure et si naturelle, y semblait souillée. Un spectacle dont l’Homme avait été le peintre, une fois de plus.

---

Le sentiment de solitude profond qui prenait vie en moi s’est progressivement éteint sous la domination de la curiosité. Ma nageoire caudale se laissait emporter par le rythme du courant, et celui-ci semblait se rendre en direction du navire échoué. Ici et là des ossements que le temps n’avait pas réussi à effacer. Je pénétrais dans cet antre sinistre, et prenais soin de ne toucher ni les lustres éclatants, ni les cuillers luisantes, ni les chaises brisées, ni les rideaux quasi-désintégrés qui jonchaient les débris de bois. J’apercevais les mots « V.A Fogg » sur un bout de la coque brisée.

---

Après quelques fouilles, je ne trouvais rien de vivant. Il n’y avait ni poissons, ni créatures, ni autre âme qui vive. Pas même des algues. Alors que, désespérée, je m’asseyais sur une chaise épargnée par le massacre, je sentis quelques pressions s’échapper d’un coin du navire. Je me levais précipitamment en sa direction et, à ma grande déception, l’objet du mouvement avait disparu. J’entreprenais alors de le chercher, de le trouver, et d’en devenir l’amie. Vivre seule sous les eaux profondes de cet océan glacial rendait la vie de toute créature sous-marine des plus tristes et accablantes. Je ne voulais pas que cela devienne le drame de ma vie.

---

J’arrivais dans une salle octogonale encore intacte. Les murs étaient brillants comme des bijoux, quoique salis à certains endroits. Alors que j’entrais, j’aperçus dans un morceau de cette façade réfléchissante une sirène remuer derrière moi. Je me retournais frénétiquement et m’agitais vers elle. Elle en faisait de même. Je m’arrêtais pour l’observer. Elle imitait le moindre de mes gestes. Nous avions l’air d’être deux âmes complémentaires. Sa nageoire était écaillée de vert émeraude et d’un rosé corail. Des couleurs légèrement plus foncées que les miennes. Je riais de joie à l’idée de ne plus être seule. Elle se décalait vers la droite alors que j’essayais de mieux l’observer, et je ne la vis plus. Inquiète de l’avoir perdue, je me retournais promptement. Je la cherchais du regard. Où avait-elle disparu ?

- Ah, je comprends ! m’écriais-je. Tu veux jouer avec moi à cache-cache ?

Je sortis de cette salle miroitante, et m’arrêtais au pied de l’encadrement de porte, défoncé par les forces naturelles de toutes ces molécules d’eau qui, tuant les uns, faisait vivre les autres – les autres comme nous.

- Fais attention, continuais-je en riant, je suis très douée à ce jeu.

A l’affut, les sens aiguisés, ma nageoire prête à sprinter, j’observais les environs. Ne voyant aucun remous, je partais à sa recherche dans tous les recoins du navire mais finissais par croire qu’elle n’était que l’objet du désir qui m’enflammait. Serait-elle alors cette éclipse totale qui surgit un temps si court et disparaît la seconde suivante ? Impossible, je ne pouvais finir seule dans cet endroit inexploré ! Il me fallait la retrouver, et vite, car la nuit tombait petit à petit, et les courants devenaient de plus en plus forts ici-bas.

- Cessons de jouer maintenant, et allons trouver un abri pour laisser la nuit s’éteindre paisiblement ! criai-je, en remuant dans tous les sens.

Puis je l’aperçus au loin. Calme et silencieuse, elle me fixait de son regard effrayé. Un léger voile verdâtre semblait la recouvrir. Je m’approchais d’elle doucement, tendais la main, et enlevais délicatement les mousses qui la couvraient, jusqu’à distinguer ses traits. Une fois encore, elle agissait comme moi. C’était un comportement inquiétant, non plus par le fait que je n’étais couverte de verdures, mais plutôt parce qu’elle s’exécutait aux mêmes moments que moi. Pour tester sa réaction, j’approchais mon index droit de son cou. Elle en fit de même avec son index gauche. Vous n’imaginez pas un instant la surprise qui s’est lue dans ses yeux lorsqu’elle a constaté que nos doigts ne se touchèrent pas mais rencontrèrent une fine couche métallique polie. Moi-même surprise, je reculais en comprenant qu’il ne s’agissait que de mon reflet. Comment était-il possible que je sois de ce côté-ci et à la fois de l’autre côté de cette surface ? Après quelques instants à fixer mes propres yeux, je comprenais que Poséidon avait perçu la peine et la solitude dans mon cœur et que c’était ainsi sa façon de me montrer que je n’étais pas seule. Nous ne sommes finalement jamais seuls, chacun de nous fait deux : il ne suffit que d’un miroir.