[Choute974 et Amylet] La magie

Il a fait chaud aujourd'hui.
Comme d'habitude, je suis resté enfermé, dans le noir, à dormir et à penser. Seul avec moi même, le temps peut paraître bien long. Je reste chaque jour à attendre la tombée de la nuit, attendre que le soleil ne me brûle plus la peau.
A chaque fois, je n'ai qu'une hâte. Renifler cette odeur de chair fraiche qui parcourt les ruelles sombres. Qu'il est bon de sentir ce parfum si enivrant!

Je me décide enfin à quitter mon antre. Je ne suis pas pressé, j'ai toute la nuit devant moi.
Je passe inaperçu, chacun vaque à ses occupations sans se préoccuper de ma présence. Ils semblent tellement sereins et heureux. Ça me fait sourire.
Certains sortent à peine du travail, d'autres y courent. Des familles vont faire une balade, des couples amoureux profiter d'un dîner romantique. Leur vie semble si facile et si belle !
J’aperçois alors une jeune femme qui se dirige vers une impasse que je connais bien. Elle est assez frêle, un teint porcelaine et de longs cheveux noirs. Elle marche d'un pas léger en fredonnant un air que je ne connais pas. Elle conviendra parfaitement comme apéritif.
Je la suis discrètement, elle ne remarque même pas ma présence. Tant mieux. Tout à coup elle s'arrête, et enlève ses hauts talons pour marcher plus aisément. C'est le moment.
Je m'approche alors vers elle, sur de moi, le regard glacial et la bouche qui salive. D'une main je maintiens sa tête, de l'autre je serre son corps pour qu'elle ne s'échappe pas. Une odeur fruitée se dégage de son cou, c'est agréable. Je croise son regard : ses yeux sont d'un vert émeraude hypnotisant. « Ne t'inquiètes pas ma belle, tu ne sentiras rien ».
Des larmes ruissèlent le long de ses joues. Elle tente de crier, mais tétanisée et bloquée par ma main froide, aucun son ne sort. Elle essaie de se défaire de mes liens, mais en vain.
Je mords alors dans sa chair. Son sang chaud coule dans ma gorge, je savoure chaque goutte avec plaisir. Elle s'effondre.
Je dépose son corps glacé sur les pavés, et ferme ses paupières. J'essuie la perle de sang au coin de ma bouche et la savoure dans un soupir.
Je jette un dernier coup d’œil à ma victime qui gît inerte sur le sol, et continue ma route à la recherche de ma prochaine proie.
Je reprends le chemin de la vieille ville, là où il y a toujours de l'animation, toujours des gens. J'arrive près de la fontaine, où résonnent les rires des enfants chahutant près de leurs parents. Qui sera le prochain ? Cet homme là bas, sirotant son cocktail ? Ou cette femme regardant ce musicien de bas étage ?
Soudain, j'entends une voix féminine : « Excusez moi, où se trouve la Rue Longchamps s'il vous plait ?»
C'est bien à moi qu'elle s'adresse ? Ne ressent elle pas le danger ?
J'esquisse un sourire et lui réponds : « Je m'y rends justement, je vous y accompagne? »
Elle me suit sans broncher, et engage même la conversation. Je la scrute de haut en bas, elle est bien en char, ce qui présage un bon repas.
Je la mène dans un coin sombre, je la sens hésitante, mais finit par la convaincre que c'est ce sentier qu'il faut emprunter. Et là,même procédé.Je l'attrape pour enfin me délecter de son sang, mais rien ne se passe comme prévu.
Elle se débat, et fait preuve d'une force presque surhumaine ! Je ne vois pas de peur dans son regard, mais du défi. Elle finit par lâcher : « Je le savais ! Je le savais que vous étiez un vampire ! » Je la regarde et lui sourit « Et que comptes tu faire ? ». Elle se jette alors sur moi telle une furie et tente de m'étrangler. Je la repousse d'un coup de bras violent, mais elle revient à la charge.
Elle tente par tous les moyens de m'immobiliser, mais sa détermination n'est pas suffisante. Croit elle vraiment pouvoir me vaincre ?
Je sens de la rage dans son regard, elle hurle : « C'est un vampire qui a tué mon frère ! Et c'est moi qui vais vous tuer maintenant ! »
Elle m'amuse, et semble tellement déterminée et sure d'elle ! Tout à coup, elle sort un pieu de son sac à main.
Elle ne bouge plus, et me fixe droit dans les yeux.
Je crois qu'elle a assez joué maintenant. Je fonce alors sur elle et la projette au sol. Son pieu tombe à quelques pas de nous. J'appuie alors son corps bouillant par terre, et lui tourne la tête pour que je puisse enfin la vider de son sang.
Mais elle arrive à s'échapper me faisant mordre la poussière.Serait ce l'envie de vengeance qui lui donne cette force ? Elle est rapide ! Je me relève et la voit derrière moi le pieu à la main.
Elle tente alors de me l'enfoncer en plein cœur. Au dernier moment, je retiens sa main, la coince contre le mur et lui susurre à l'oreille : « Tu n'es pas la première à tenter, et tu ne seras pas la dernière. Tu croyais vraiment pouvoir me vaincre ?».
Et en un geste vif et précis, j'empoigne son cou et mords dans sa chair si savoureuse. J'aspire son sang jusqu'à la dernière goutte, en fermant les yeux pour profiter de ce divin breuvage.
Je jette enfin son corps à terre. Il y a tellement longtemps que je n'avais pas rencontré de proie si sauvage ! Cette rencontre inattendue m'a surpris, mais aussi ravi. J'aime que l'on me défie, que l'on me résiste.
Il est déjà minuit passé, et pourtant les rues grouillent encore de monde. Ils ne semblent pas se préoccuper des créatures qui rodent dans la nuit, à la recherche de nouvelles proies. Pourtant il n'y a pas beaucoup d'éclairages, et il flotte dans l'air une odeur étrange. Cela ne vous inquiète donc pas ? N'avez vous donc pas peur ?

Voilà mon rituel chaque nuit. Je parcours les rues, à la recherche de mon nectar. Je ne suis jamais rassasié, c'est si bon de sentir le goût salé de ce liquide rouge qui coule doucement dans ma gorge.
Surveillez vos enfants, rentrez chez vous la nuit tombée, on ne sait jamais sur qui on va tomber. Vous devriez être plus prudent, vous n'êtes pas seuls, mes chers mortels.

Mes pas font crisser les graviers de l’allée. Je lève la tête vers la maison, je vois les enfants trépigner d’impatience derrière la vitre. Je me sens flattée.
Leur mère m’ouvre la porte, un large sourire sur les lèvres. Sans se départir de son sourire, elle s’adresse à moi :
- Bonjour. Je vais y aller, maintenant que vous êtes arrivée. Merci encore d’avoir accepté ce job, ils sont si heureux quand vous vous occupez d’eux… Je ne sais pas à quoi vous jouez avec eux, mais ils aiment ça en tout cas ! Ils croient dur comme fer que c’est la réalité !
Elle embrasse ses trois enfants sur le front et se tourne à nouveau vers moi. C’était donc bel et bien une question, et non une remarque. Je passe ma main dans me cheveux en riant et lui réponds :
- Un jeu à propos de magiciens… Vous savez ce que c’est, les enfants, la magie, une belle histoire, un univers fantastique… tout ça les fait rêver… c’est la magie de l’enfance justement ! Je ris de nouveau.
Une expression troublée passe, fugace, sur son visage. Comme si l’espace d’un instant, elle pressentait la vérité. Mais son sourire revient presque instantanément.
- Oui, c’est vrai… Souvent j’aimerais avoir de nouveau leur âge… Bon, je m’excuse, je dois vraiment vous laisser, il ne faut surtout pas que je sois en retard.
Un bref regard jeté à sa montre, un dernier signe de la main à ses enfants, des pas précipités vers sa voiture. La voilà partie. Une bonne chose de faite, je m’autorise un petit soupir.
Les trois mioches sont là, comme suspendus à mes pas. Je leur souris, et la plus jeune des trois me demande, impatiente :
- Tu joues avec nous, hein ? Allez, viens, viens !
- J’arrive. Mais on va s’installer dans le jardin plutôt, il fait beau, autant en profiter, non ?
J’assiste alors à un beau cœur de cris de joie, et je me laisse entraîner par le garçon. Il a huit ans, ses sœurs, sept en neuf. Un écart parfait pour moi. Mais je dois faire vite, ou l’aînée sera déjà trop vieille.
Une fois dans le jardin, je m’assieds sur la balançoire, et ils s’asseyent spontanément en demi-cercle autour de moi. Je leur demande à quoi ils veulent jouer, mais je connais déjà la réponse, et elle me satisfait d’avance. Aux magiciens !
- Bien. On va juste rappeler un peu les règles avant. Tu le fais, Clara ?
L’aînée s’exécute :
- Alors, heu… Il y a cinq types de magiciens, et on choisit d’être celui qu’on veut. Il y a les ensorceleurs, les guérisseurs, les sorciers, les télépathes et les métamorphes. On doit se servir de ses pouvoirs pour aider les autres ou pour se battre.
- Et tous les coups sont permis ! Lance la plus petite, enthousiaste. J’veux être guérisseuse !
- Ah non, pas guérisseuse, c’est nul ! lui rétorque son frère.
- Alors métamorphe !
- Mais métamorphe, ça marche pas !
- Alors guérisseuse
Je soupire et entreprends de les calmer :
- Chut, du calme, du calme. Elle a le droit d’être guérisseuse si elle veut. Sinon c’est bien, vous n’avez pas oublié les règles. Clara, Marc, qu’est-ce-que vous voulez être ?
La réponse fuse.
- Sorcier !
- Sorcière !
- Ah non, je l’avais pris avant !
- Vous n’avez qu’à le faire tous les deux, je chuchote, conciliante.
- Ah non, je refuse de faire la même chose que lui ! J’vais être ensorceleuse alors !
- Parfait ! Rappelez moi les caractéristiques des magiciens que vous avez choisi, c’est encore pour vérifier qu’on est d’accord sur le règles.
La petite réfléchit un instant tandis que ses deux aînés se foudroient du regard, puis me répond :
- la guérisseuse… ben elle guérit les gens, avec ses mains, tzouum ! comme ça, là !
Elle mime l’action, tendant ses mains devant elle. Clara enchaîne :
- l’ensorceleuse déplace les objets rien que en pensant…
- Par la force de la pensée , je corrige.
- Ouais, c’est ça. Et elle fait des gestes avec les mains et les bras pour leur donner une direction.
- Hummm… oui, c’est à peu près ça. Et toi, Marc ?
- Le sorcier commande à la nature, surtout aux plantes.
Ils sont prêts. Impatients, et surtout, ils y croient. Je le sens, je le lis dans leurs petits yeux d’enfants. Mais comment en aurait-il peu être autrement ? Trois fois que je joue avec eux, eux qui sont si jeunes et si crédules. Trois fois aussi à jouer dans le jardin, à ressentir la présence de mes compagnons derrière les haies.
Je donne le signal du départ pour le jeu. Soudain la petite se tourne vers moi et me demande :
- Et toi, tu vas faire quel magicien ?
- La télépathe, je réponds sans hésiter, un sourire presque carnassier accroché à mes lèvres.
- Encore !
- Oui, encore. Tu te souviens de ce que fait la télépathe, au fait ?
- Oui. Elle ressent les pensées des gens en posant ses paumes contre leurs corps…Toi tu fais toujours sur les épaules… Elle peut parler dans leur tête aussi quand elle fait ça.
- Et quand c’est tout ?, je l’interroge.
- Non, … quand les gens sont prêts à l’accueillir, elle peut se nourrir de leur esprit, comme un vampire il fait avec le sang. Mais je sais pas trop ce que ça veut dire.
- Comme le fait un vampire. Et je ne sais pas trop. C’est bien en tout cas, et ne t’en fais pas, on n’en a pas besoin finalement.
- Non. Tu viens, on joue ?
Oui, si elle veut. On joue. Sauf que cette fois, c’est un peu différent. Je pose mes paumes sur ses omoplates, elle se laisse faire en riant. Je rentre dans son esprit. La sensation est enivrante comme chaque fois… Comme si je ne faisais qu’un avec elle. Une multitude de sensations et sentiments qui ne sont pas les miens. Impatience, joie… tiens ? Du trouble. Peu importe. Elle se prête de bonne grâce au jeu, son esprit est comme une porte ouverte en grand, je m’y engouffre avec excitation. Et je laisse éclater ma faim. Je pompe, j’aspire, ses moindres pensées, se moindres, souvenirs, se moindres sentiments. Elle panique et tend les mais vers son crâne. Non. Non, cette fois, tu ne pourras pas te guérir ma belle. Mes compagnons ne sont pas là pour utiliser leurs pouvoirs à ta place… Tu n’as pas vraiment de pouvoirs, ma belle. Elle tremble violemment, ses yeux sont remplis de larmes.
- Je suis en train d’aspirer ta peur, alors ne tremble pas comme ça, je chuchote tranquillement.
Peu à peu, elle cesse de trembler puis tombe sur le sol, sans vie.
Je fais la même chose pour son frère et sa sœur, qui eux aussi me laisse entrer dans leur esprit sans résistance. Puis j’appelle mes compagnons. Ils sont là. Une sorcière, une guérisseuse et un ensorceleur. Je les regarde, l’un après l’autre puis je déclare avec regret :
- Quel dommage que les parents ne soient pas aussi crédules… C’est un délice, les enfants, néanmoins. Merci, une fois de plus. Vous pouvez prendre la mère.
Je quitte le jardin comme je suis venue, à pas lents. J’ai faim. J’ai encore faim.