« Jamais Il n’aurait dû vous faire confiance ! Ah, mais que vais-je donc bien pouvoir faire de vous ?»
La fille secoua son voisin violemment :
- « Réveille-toi, réveille-toi je te dis ! »
- « Qu’est-ce qu’il y a ? Elle a encore tremblé ? »
- « Non, ce n’est pas ça, écoute… j’entends parler. »
- « Mais qu’est-ce que tu racontes… on est seuls ici. »
- « Si, si je t’assure, écoute bien. »
Le garçon tendit l’oreille mais aucun son ne lui parvint. Dans le bunker dans lequel ils étaient enfermés, depuis que l’air extérieur était devenu irrespirable, aucun bruit ne parvenait à percer les parois de béton armé et les sons étaient étouffés bien avant d’y être parvenus.
« Autant que je vous anéantisse ! De toute façon, ça vaudrait mieux pour moi et pour vous. »
- « Là, tu entends maintenant ? » demanda la fille au garçon.
Le garçon était recroquevillé sur lui-même, l’air terrorisé, « Qui est là ? Qui parle ? ».
« C’est moi, Gaia ! » tonna la voix grave, caverneuse et râpeuse. Elle résonnait dans toute la pièce et pourtant semblait venir de nulle part. Elle était partout autour d’eux, mais aussi en eux. « Gaia la terre, votre mère bienfaitrice et nourricière ».
- « La terre ? » s’exclama la fille, incrédule.
- « Oui, la terre », rétorqua Gaia, en soufflant de lassitude. « Celle que vous avez abandonnée, celle que vous avez meurtrie, torturée et quasiment anéantie ».
- « Mais, la terre ne parle pas ! » répondit le garçon.
- « Oh oui, je me suis tue bien trop longtemps, tu as raison, mais je ne pouvais transgresser Sa règle du libre arbitre ».
- « De qui parles- tu ? De quelle règle ? »
- « Celle du Créateur, bien évidemment ! Mais c’est vrai que vous êtes devenus mécréants, vous autres ! » Gaia avait pris un ton désolé. « Et pourtant, si vous saviez combien Il vous aime ! Il m’a même ordonné de faire disparaître les dinosaures, ces animaux si pacifiques, pour vous laisser la place, à vous, Sa créature préférée… Et moi, j’ai obéi, bien sûr ! » Un lourd instant de tristesse pesa sur l’assistance.
Elle reprit, « je vous ai portés, nourris, élevés et aimés, selon Sa volonté, sans un bruit, sans une plainte, sans un soupir… et tout ça pour quoi ? » Son ton devint hargneux, méprisant et cassant quand elle continua, « pour que vous m’exploitiez tels vos esclaves, que vous suciez ma moelle jusqu’à épuiser toutes mes ressources, que vous détruisiez mon environnement des pôles aux étoiles et ce, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! En trois cent misérables années sur les 4,54 milliards qui ont fait ma vie, par votre avarice, votre égoïsme, votre hypocrisie, votre intempérance, votre jalousie, votre oisiveté, votre orgueil et votre cupidité, vous avez réussi à me détruire.» De rage elle trembla.
- « Pas nous, Gaia !», s’exclamèrent en chœur la fille et le garçon.
- « Pas nous ! », repris le garçon, « Nous on a fait attention à toi, on a trié nos déchets, économisé notre eau et notre énergie, mangé bio pour ne pas te polluer…»
« Ha, ha, ha, » coupa Gaia en s’esclaffant, « pauvres insignifiants petits vermisseaux ! Et qu’avez-vous fait pour empêcher vos pairs d’aller de plus en plus vite vers le désastre afin de préserver leur petit confort individuel et superficiel ? Regardez-vous, voyez à quoi vous en êtes réduits, à vivre terrés comme des vers ! Vous récoltez ce que vous avez semé ! Vous, les uniques rescapés de ce cataclysme ». Son silence se fit de plomb et sembla durer une éternité. « Qu’importe ! Le mal est fait ! » lâcha-t-elle dans un souffle.
-« Et pourquoi maintenant », se lamenta le garçon, « pourquoi t’adresses-tu alors à nous maintenant que nous sommes ici, seuls survivants du monde, dans ce bunker immonde ? »
« Eh bien simplement parce qu’Il a décidé de vous laisser une deuxième chance ! Dans Son infinie miséricorde, Il pense que vous pouvez avoir appris de vos erreurs et que vous saurez enfin faire un monde meilleur ! Le pauvre vieux fou ! » ricana-t-elle, « personnellement je pense qu’Il croit au paradis ! »
- « Oh, je t’en prie, Gaia », s’exclamèrent en chœur les deux jeunes gens, « laisse nous cette chance ! Ecoute notre Créateur ! »
- « Je t’assure », continua la fille, « nous ne répèterons pas les mêmes horreurs ! »
- « Nous avons appris de nos erreurs ! » renchérit le garçon.
- « Fais nous confiance, Gaia, nous te le promettons ce monde meilleur ! » crièrent-ils en désespoir de cause.
Un long silence envahi le bunker.
- « Est-ce que j’ai le choix ? » dit la voix d’un ton las et résigné, « Ce n’est pas de gaieté de cœur mais, le Créateur m’a assuré une seconde jeunesse… ça ne se refuse pas. »
Sur ce, la porte du bunker s’ouvrit et, oh miracle !, le paysage dévasté et gris avait laissé place à de merveilleuses prairies vertes. En lieu et place des tours de béton et de verre, on voyait un magnifique verger de pommes rares et anciennes et de poires oubliées.
Le garçon se leva précipitamment et prit la main de la fille, l’entraînant sans ménagement vers la sortie. « Viens Eve, dépêchons nous avant qu’elle ne change d’avis ». « Oui Adam, vite, vite, j’ai tant envie de goûter à ces pommes ! »
* * *