[Stern & Beez] Exploration

Austine Fulligan redressa son large chapeau. L'expedition sera rude. Ses yeux emplis de défis fixèrent la forêt. Elle n'avait pas peur. Ce mot semblait exclu du vocabulaire de la famille Fulligan.

La jeune femme s'enfonça dans les vertes profondeurs. Le poumon de la Terre allait en avoir plein la vue. Foi de Fulligan ! Austine, totalement détendue, se fraya un chemin au milieu de buissons poussant ça et là, de lianes pendantes, la caressant telles des serpents. Ce n'était pas pour autant qu'elle allait rebrousser le chemin.

Elle aperçut de nombreuses espèces d'animaux dont elle n'aurait jamais soupçonné l'existence. Clac ! Clac ! Elle prend bien garde de prendre ses cliché sans flash, pour ne pas effrayer les animaux. Les plantes lui sont également étrangères. Que c'est dépaysant !
Petite fille, la principale exploration qu'elle menait, c'était celle de ses rêves. Au réveil, elle imaginait le pourquoi du comment, trouvait des réponses aux absurdités les plus innatendues.

Personne n'a jamais compris pourquoi elle détestait Alice au Pays des Merveilles.

Austine avançait paisiblement. Secrètement, elle éprouvait le désir de croiser les personnages de Rudyard Kipling. Devenir animale avec Baloo ? Aucun problème. Donner le secret du feu au roi Louie ? Elle l'aurait fait sans réféchir. Partir en escapade aux côtés des loups ? Bien sûr. Mais côtoyer la panthère ? Jamais. Plutôt mourir.

D'ailleurs, puisqu'elle en était au livre de la Jungle... Elle était dans une forêt, ou bien une jungle ? Méditant ceci, elle ne prit pas garde à la racine d'un arbre au tronc imposant, et se retrouva à plat ventre sur le sol.

Austine crut avaler un peu de la terre sur laquelle elle avait chu. Pourtant, elle n'avait aucun goût désagréable en bouche. Non, elle y sondait plutôt... Le goût de l'aventure.

Ah ça oui, la petite Austine Fulligan avait causé bien des soucis à sa famille, enfant. Toujours perchée dans les arbres du domaine, elle en descendait subitement, pour remonter ensuite. Dès qu'un étranger essaait de s'approcher de la jeune furie, elle lui lançait toutes sortes de projectiles douleureux avec vélocité. Seuls les plus courageux comprirent qu'elle faisait une reconstitution de la fable Le corbeau et le Renard. La petite Austine, on l'appelait la Grande, dans son enfance, parce qu'elle ne descendait de son arbre que pour faire son petit théâtre. Même son père n'était pas assez grand pour la dépasser, alors.

Qui aurait cru que son enfance, elle la passa malheureuse, la petite Austine ? Car même si elle repoussait ceux qui voulaient qu'elles descendent, elle cherchait juste quelqu'n qui lui aurait tenu tête.

Oui, la petite Austine n'avait jamais eu affaire à l'autorité, et elle en souffrait.

Refoulant ces tristes souvenirs, elle écarquilla en grands les yeux, plus pour ne pas pleurer que pour admirer le paysage. Tout ce vert était d'un vivifiant... Si elle n'avait pas voulu économiser ses forces, elle se serait jetée toute entière dans une course efrénée à travers la forêt.

Elle n'aurait su dire la raison, mais cette forêt dégageait une odeur agréable, presque envoûtante. Elle l'huma un instant l'air, continuant d'avancer au gré de la volonté qui émanait de ses jambes. Alors que pendant cet instant de recueillement elle fermait les yeux, un bruit l'alerta.

Il était là. La raion de son voyage depuis la Gascogne.

A cet endroit, un rayon de soleil semblait repousser les feuilles pour écliarer cet espace, comme si c'était son seul but. Un but d'emerveillement. Les reflets brillants luisaient, laissant voir de temps à autres la nageoire d'un dauphin rosé. Des particules dorées flottaient dans les airs, comme prisionnère decet instant.

Jamais Austine n'aurait pensé que ce serait le spectacle offert par l'Amazone.

Malgré tout, elle devait continuer d'explorer. Elle devait prendre des photos, ramener des échantillons pour le laboratoire. Mais à ce moment précis, toute l'arrogance amassée par les Fulligan au fil des siècles retomba.

Qu'improte son nom de famille, sa richesse, sa force physique ou intellectuelle. Elle était juste Austine, une femme d'une vingtaine d'années, une femme. Une femme qui n'en pouvait plus tant elle était éblouie par la beauté amazonienne.

Pour aucun laboratoire du monde, elle n'aurait quitté le fleuve.

Pourtant, il fallait bien s'en retourner. Elle avait fini son travail ici. Travail. Personne ne lui en avait jamais confié. D'habitude, elle était toute seule, trop imprévisible pour qu'on lui donne quoique ce soit à faire. Les gens avaient trop peur pour leurs biens. Ainsi, ils avaient préféré garder jalousement leurs responsabilités, refusant de rendre autonome la petite Austine.

C'était une enfant bien solitaire.

Alors, même si c'était par bénévolat qu'elle était ici, à prendre des clichés, à collecter, et à chercher, elle était, pour la première fois depuis bien longtemps, heureuse.

Nous cheminons entre les lianes, mon père en tête de queue, muni d’une espèce d’épée ridicule, mon petit frère derrière moi poussant des cris de petit singe, l’air chaud et humide pesant sur mes pauvres épaules comme un instrument de torture. Nom d’un chien, qu’est-ce que je fous là ?! Pourquoi mon idiot d’aventurier de père a eu la grandiose idée de partir en exploration en AMAZONIE ? Pourquoi justement en Amazonie ? (Et pourquoi mon stupide petit frère a eu l’idée glorieuse d’hurler de joie ?) … (Et pourquoi ma sadique de mère m’a forcé à partir avec eux pendant qu’elle est restée au bord de mer, à se prélasser, allongée sous un transat rose bonbon immonde en sirotant du mojito?)

Je shoote dans une pierre –ou un animal ?- en pensant à mon notebook rempli de séries géniales qui m’attendait en prenant poussière sur mon bureau dans ma jolie chambre coquelicot dans notre parfait appartement parisien. Je pense à la climatisation, à l’air sèche et au regard de cocker de Charles, mon petit ami, quand je lui ai annoncé que je le quittais pour deux semaines interminables.
Mais la réalité, la dure et terrible réalité, est tout autre : Autour de moi des millions, des milliards de kilomètres d’arbres gigantesques cachant la plus infime partie de ciel, des cris d’Orang-outan en pleine accouplement (disons-le franchement) et le vrombissement tonitruant des insectes… Ce que tout le monde prend pour le paradis sur terre n’est qu’une jungle ennuyeuse. Même le danger ne nous guette nulle part !

« Qu’est-ce qu’elle est belle, mère Nature ! » s’écrie mon père dans un élan d’enthousiasme digne d’un drogué au LSD. Je le regarde, ahurie, pas certaine d’avoir bien compris mère nature combinée à belle et ce ton mielleux. Je renifle avec dédain en regardant le sol à mes pieds : une quantité de fourmis proche de l’inimaginable se promène sur mes chaussures, à quelques centimètres à peine avance paresseusement une araignée que j’aurais préféré qualifier de limace et là, entre les racines d’un arbre monstrueux, un petit iguane gris et ridé, long quand même d’un bon mètre, nous fixe de ses petits yeux noirs.
« Ne t’inquiète pas, ma chérie, » s’exclame mon père en affichant un énorme sourire conquérant. « Les iguanes, iguanidae Dipsosaurus, sont végétariens! Ils se nourrissent aussi de mouches ! » Un petit rire coquin lui échappe.
Je renifle. « Explique-moi en quoi un animal qui gobe des mouches est végétarien. » Je lui réponds en m’éloignant de la bestiole à écailles.
« Et bien… » Commence-t-il donc avec enthousiasme.
« Allô ?! Non ‘Pa, laisse tomber, quoi, c’était de l’ironie. »

C’est à peine si je remarque la moue déçue –triste et touchante ?- de mon père.
« Quand est-ce qu’on mange ? » Je demande pour essayer de faire oublier ma réponse trop acide pour le pauvre cœur trop tendre et naïf de mon paternel.
« Bientôt, ma chérie, nous sommes bientôt arrivés. »
Bientôt… C’est ce qu’il nous rabâche déjà depuis presque une heure et autour de nous, il y a toujours les mêmes arbres à mesure qu’on avance. « Tu es sûre que tu sais où on va ? » Je lui glisse quand même à demi voix pour que mon petit frère ne m’entende pas.
« Bien sûr, bien sûr. Pas d’inquiétude, ton père est un génie ! »
Un génie, mais bien sûr…

Et puis, coupant de nouvelles lianes, poussant de nouvelles branches, mon père dévoile enfin un petit changement dans la monotonie du paysage. Devant nous se trouve un impressionnant bras de l’Amazone, le grand et paisible fleuve de l’Amazonie. Le bras s’écoule large et paresseux, profond et saumâtre, sentant un peu l’humus ou peut-être le moisi. Les arbres se penchent dans l’eau, l’air de vouloir s’y baigner pour chasser la chaleur accablante de leurs branches.

Soudain, un cri suraigu semblable à un rire fait taire les orangs outans, les insectes et mon frère pour quelques secondes. Là, à la surface de l’eau se profile une petite nageoire et derrière un bosse à la peau grise et lisse… Majestueusement, un dauphin saute de l’eau, un poisson dans sa gueule en forme de bec, découvrant un ventre d’un rose splendide. Un… non deux ! dauphins dansent devant nos yeux dans l’eau de l’Amazone, se lançant le poisson nous dévoilant leurs ventres roses et nous, nous restons plantés là, comme enracinés, mon frère, la bouche ouverte, silencieux pour la première fois depuis notre départ.

« Je vous présente l’Inia geoffrensis, les enfants, le dauphin rose de l’Amazone. » J’entends dans sa voix que ses yeux brillent comme toujours quand il voit les ‘merveilleux de la nature’. Il passe un bras autour de mes épaules et chuchote « Joyeux anniversaire ma chérie. »

Je pensais qu’ils avaient oublié. Je ne peux retenir plus longtemps mon sourire émerveillé et une larme perle au coin de mes yeux et puis, reprenant un peu de contenance, je rajoute : « Tu m’aurais prévenu, j’aurais évité de me plaindre… un peu. »