[happycachou et Pillipy] Peindre.

Par une douce journée de printemps, Théodore Hans, un vieil homme fort charmant, se promenait sur un petit sentier côtier.  Il se trouvait à Sanary-sur-Mer. Une ville du bord de mer très agréable. Alors qu’il faisait son petit tour habituel, il tomba sur un peintre. L’homme lui proposa de lui faire son portrait pour une cinquantaine d’euros seulement. Théodore, peu intéressé, allait passer son chemin lorsqu’une peinture accroché près de ce vétuste marchand l’attira. Il fit un pas en arrière, curieux. Sur ce portrait admirable, on pouvait y voir celui d’une jeune femme à la beauté éblouissante.  Théodore en fut comme hypnotisé. Les cheveux de la femme lui faisaient comme un rideau noir et soyeux, ses yeux étaient l’océan et sa peau, la porcelaine. Il émanait d’elle quelque chose de malsain mais l’on avait envie de se rapprocher plus près, de la toucher. Elle semblait tellement réelle que Théodore en oublia un instant où il se trouvait.

« Vous voulez un portrait monsieur ? »  Demanda le peintre. Sortant de soudaine rêverie, le vieil homme accepta sans trop savoir pourquoi. Cet ainsi qu’au lieu de faire son habituelle ballade, Théodore se retrouva assis sur un tabouret, en face d’un peintre. Celui-ci avait sorti son matériel et faisait une rapide esquisse de Théodore.  Tandis que le peintre s’affairait autour de lui, le vieil homme ne cessait de repenser à ce portrait de femme.  Ses yeux exprimaient une perversité extrême, comme habités par une instance supérieure. Elle lui avait semblée si réelle.  Devant lui, le marchand avait étalé plusieurs couleurs qu’il mélangeait soigneusement entre elles. Lorsqu’il eut fini, il demanda à Théodore s’il souhaitait avoir un paysage en fond. Celui-ci demanda à avoir une mer agitée comme décor et s’il était possible aussi que la femme du portrait soit aussi représentée. Le peintre acquiesça mais lui demanda de payer quinze euros de plus. Théodore accepta, pensant tout de même que c’était du vol.

Le peintre se mit alors à l’œuvre, peignant tout d’abord un paysage des plus réalistes représentant des vagues levées par la force du vent. Les outils que le peintre utilisait transformaient chaque goutte de peinture en élément du décor : un arbre, un rocher, un grain de sable… Tout était réalisé avec la plus grande minutie. Un coucher de soleil venait parfaire ce décor de rêve. Ayant achevé son paysage, le peintre commença à représenter Théodore, debout sur le sable, le regard rivé sur l’horizon. Le vent balayait le peu de cheveux qui pouvait lui rester. Puis, il continua avec la femme. Il sembla à Théodore que le peintre prenait encore plus de temps pour la représenter, s’attardant sur chaque partie de  son visage, de son corps, si bien que l’on voyait parfaitement son expression.  Son visage était tourné vers lui et lui souriait. Pourtant, ce sourire mit mal à l’aise Théodore même s’il ne sut dire pourquoi. Quand le peintre eut enfin achevé son œuvre, il était très tard. C’était tout de même un exploit que cet homme eut fini aussi vite une si belle peinture.  Il régla sans broncher et emporta la toile avec lui. Arrivé chez lui, Théodore décida de mettre sa belle toile sur un mur qui la mettrait bien en valeur. Ainsi, il l’accrocha au-dessus de la cheminée.  Théodore admira une dernière fois le tableau. Il mit le doigt sur ce qui l’avait mis si mal-à-l’aise tout à l’heure. La femme reposait sur un rocher, en pleine mer, à demi-nue, blessée et souffrante. Son visage était tourné vers le Théodore du tableau même si celui-ci ne pouvait la voir. Il exprimait une telle souffrance et en même temps comme une sorte de jubilation, de plaisir. Théodore eut un frisson et détourna le regard de cette atroce peinture. Elle lui donnait la chair de poule.  Il monta faire son habituelle petite sieste, l’esprit empli de ce tableau malfaisant.

Une vingtaine de minutes plus tard, Giselle Bontemps ouvrit la porte de la maison de Monsieur Hans. Le vieil homme devait dormir, à cette heure-ci. Giselle commença par astiquer le parquet, frottant toutes les tâches qui maculaient le sol. Elle se mit ensuite à épousseter et c’est là qu’elle remarqua le tableau de Théodore. Elle-même adepte de la belle peinture, elle savait repérer un chef-d’œuvre.  Elle s’arrêta net, ne pouvant bouger devant tant de splendeur. Elle secoua la tête et se remit au travail avec énergie. En allant à l’étage, elle ne remarque pas tout de suite que la moquette habituellement si douce était devenue toute poisseuse. Elle fut surprise de voir la porte de la chambre entrouverte. Théodore la fermait toujours lorsqu’il dormait. Giselle poussa la porte, la main un peu tremblante.  Le corps de Théodore gisait-là, sur son lit, entouré d’une flaque d’un liquide poisseux qui ressemblait à s’y méprendre à de l’eau de mer. Une algue était posée sur son pied.  Ses vêtements étaient en lambeaux révélant de profondes coupures sur tout  son corps. Mais le pire était l’expression de son visage : atroce, suppliante. Ses yeux épouvantés fixaient un point que lui seul pouvait voir. Giselle porta une main à sa bouche. Elle descendit en trombe les escaliers et appela une ambulance. Elle savait qu’il était trop tard, mais ne savait que faire. Ce fut à ce moment-là qu’elle remarqua que le tableau avait changé : la belle femme allongée sur un rocher, blessée avait laissé place au corps mutilé de Théodore. Et, à côté de lui, le visage d’une femme à la beauté presque douloureuse, se tordait dans un rictus diabolique. Giselle eut un frisson et convaincue que le temps s'était refroidit, jeta un coup d’œil par la fenêtre. Mais le soleil brillait toujours.