[votes] Syndrome de Stockholm

__7 juin 2003

__Laura était ivre. Complètement. Lui aurait-on demandé ce qu'elle faisait dans cette rue, seule, qu'elle n'aurait pas su répondre. Ses amis étaient partis. En voiture, pour la plupart. Elle avait eu la présence d'esprit de refuser leur offre de la ramener – ils n'étaient pas dans un meilleur état qu'elle. Les autres s'étaient payé un taxi. Elle, elle n'avait pas d'argent. Pas un sou. Et elle détestait faire la quête, s'était-elle souvenu dans un éclair de lucidité. Elle avait donc confusément décidé de rentrer à pieds, titubant légèrement sur le trottoir, l'esprit embrumé par tous ces verres qu'elle avait bu dans la soirée.
__Elle s'était perdue cinq mètres plus loin. À la première intersection qui s'était présentée.
__À présent, elle empruntait une rue encore plus sombre que la précédente. Non, pas une rue ; une impasse. Vraiment très étroite, cette impasse. Et visiblement pas habitée.
__Elle était vraiment trop soûle pour s'en rendre compte. Elle se complaisait juste dans sa solitude. Personne pour lui casser les oreilles. Personne pour lui lanciner le cerveau.
__Personne, vraiment ?
__Elle ne se rendit même pas compte du coup qui la jeta à terre. Elle sombrait déjà.


__9 juin 2003

__« Humph », grommela-t-elle en reprenant conscience.
__Elle souffrait. Terriblement.
__Elle tendit la main, tâtonna, cherchant les cachets qu'elle ne manquait jamais de laisser sur sa table de chevet, en prévision de ces matins de lendemain de soirée. Pourtant, son mal de tête était différent de celui qui l'habitait habituellement. Plus sourd, plus profond. Plus violent.
__Elle ne sentit rien d'autre que du béton. Enfin, ce qu'elle supposa être du béton. Une surface plane, dure, froide, poussiéreuse.
__Elle se souleva avec efforts, décolla ses paupières lentement et laissa son regard s'adapter à la semi-obscurité ambiante. La pièce était plongée dans un état de transe très étrange. La vie semblait en être absente. Les murs gris, nus, le sol, gris également, et même la poussière qu'elle sentait sous elle, semblaient morts.
__« Drôle d'endroit pour se réveiller », chuchota-t-elle malgré l'absurdité de la situation.


__23 juin 2003

__Laura n'était pas sûre de comprendre tout ce qui lui arrivait. Les premiers jours, elle était restée confinée dans cet espace réduit, guettant une nourriture qui se faisait rare – trop rare – et fade – beaucoup trop fade. Elle ne faisait pas sa difficile, pourtant.
__Elle avait rapidement compris que ce qui se passait était anormal. Elle avait d'abord cru à un rêve étrange, son esprit embrumé l'aidant dans son hypothèse, mais au bout de trois jours, elle s'était faite une raison. Elle ne rêvait pas. Elle ne cauchemardait pas. Elle avait été enlevée.
__La révélation avait fait son chemin lentement, et elle sentit une haine douloureuse bouillir lentement dans ses veines. Elle avait espéré apercevoir son ravisseur. Pour le castrer. Pour le tuer.
__Elle se reprenait aussitôt lorsque ces pensées prenaient forme. Elle voulait juste s'enfuir.
__L'agresseur se faisait désirer. Il ne l'approchait que lorsqu'elle dormait. Il ne l'avait jamais surprise quand elle était éveillée. Elle se demandait bien à quoi tout cela rimait.


__26 juin 2003

__Quand il fit son apparition pour la première fois, ce jour-là, la jeune femme regretta aussitôt d'avoir désiré le rencontrer. Elle se savait pris au piège.
__L'homme, grand de bien un mètre quatre-vingt cinq, était brun et musclé. Il n'avait rien de français, cependant. Il était trop… pas assez… ou justement… Il était trop indéfinissable pour être français. Ou même allemand, ou espagnol…
__Elle savait que l'attirance qui s'était réveillée lors de sa première visite n'était en rien légitime. Elle le détestait, d'ailleurs. Rien que pour sa manière de la regarder. Rien que pour sa manière de la toucher.
__Lorsqu'il avait posé ses lèvres sur ses joues, elle avait voulu crier. Elle n'avait réussi qu'à pousser un faible gémissement. Plutôt rauque, le gémissement. Presque… animal ?
__« восхитительный ¹ », avait-il alors soufflé.
__Elle avait frissonné. Elle n'avait rien compris, mais elle trouvait que ça sonnait bien.


__1^er août 2003

__Elle n'était pas vraiment sûre que la situation soit très saine. Pour elle, comme pour lui. À vrai dire, elle s'en fichait un peu.
__Ses conditions s'étaient beaucoup améliorées depuis la dernière fois. Elle avait maintenant une chambre. Certes, un peu vide, petite, fermée à clé, mais dotée d'un lit, d'une table de chevet — sur laquelle elle s'imaginait poser des cachets contre la gueule de bois — et même d'une fenêtre et de rideaux.
__Elle avait toujours été claustrophobe. Elle n'arrivait pas à ressentir ce sentiment d'enfermement qui l'avait toujours prise.
__Elle avait toujours eu peur du noir. Elle avait toujours voulu une veilleuse dans son sommeil. Elle n'en avait plus besoin.
__Sa présence suffisait. Laura pouvait compter sur lui. Il la rassurait. Il était doux.
__C'était son agresseur, mais c'était aussi son ange gardien. Il devait être un peu schizophrène, se dit-elle un jour alors qu'il verrouillait la porte derrière lui, la laissant plus rêveuse que jamais.
__Et elle ne connaissait même pas son nom.



¹ « Délicieuse »