[Maeleo & Anyamany] Ami Imaginaire

__Sophie courait dans les champs, faisant voler sa robe dans les fleurs. Les pétales se détachaient à son passage et des milliers de grains de pollen voltigeaient dans les airs, emplissant le lieu d’une beauté magique.
__Alexis regardait son amie jouer, le sourire aux lèvres. Elle était si jolie, si drôle, si gentille. Pas comme les autres enfants. Elle était différente, comme lui.
__- Alexis, appela une femme qui s’était approchée du petit garçon, de toute évidence sa mère. Alexis, qu’est-ce que tu fais assis ici tout seul ?
__- Je ne suis pas tout seul, maman, je regarde Sophie. Regarde comme elle est jolie !
__La mère soupira. Elle savait parfaitement ce qu’elle allait voir en levant les yeux : rien. Elle s’inquiétait pour son petit Alexis. Il parlait de cette Sophie comme si elle existait réellement, comme si elle faisait partie de lui, comme si elle était son « lui » féminin. Sensible, seule, timide… Les descriptions qu’il faisait d’elle… correspondaient en tout point au petit garçon.
__- Alexis, il n’y a personne. Ton esprit te joue des tours, Sophie n’existe pas.
__Ce fut comme un poignard dans son petit cœur. Il savait que ses parents le prenaient pour un fou, mais jamais encore ils n’avaient douté de l’existence de son amie. Non. Non ! Sophie existait, elle était là, devant lui, elle jouait, elle lui souriait aussi, lui faisait signe de la rejoindre. Pourquoi personne ne voulait la voir ? Sophie disait que seul lui le pouvait car il croyait en elle, mais pourquoi personne ne voulait croire en elle, alors ? Il ne comprenait pas, était-elle si différente des autres ? Différente des autres mais pas de lui.
__Mais il se contenta de répondre avec ses arguments et sa voix de petit enfant :
__- Mais si, elle est là, regarde les pétales qui volent tout partout ! C’est elle qui joue !
__- Les pétales ne volent pas, mon chéri, tout est calme… Allez, viens, on rentre à la maison.
__Incapable de s’opposer à sa mère, l’enfant finit par tendre sa main tout en faisant la moue. Il fallait toujours que l’un de ses parents vienne l’empêcher de jouer avec Sophie. Et il en souffrait. Il croyait que ses parents voulaient son bonheur, alors pourquoi l’empêchaient-ils d’être heureux avec Sophie ? Ils ne faisaient que le rendre plus malheureux encore.

__Alexis se leva pour aller chercher un verre d’eau. Il trouva Sophie, debout dans sa chambre, en train de le regarder dormir. Il allait crier son nom, mais celle-ci posa un doigt sur ses lèvres et indiqua de sa main libre la chambre des parents. De toute évidence, elle voulait qu’il aille voir ce qu’il s’y passait.
__A pas de loup et oubliant sa gorge sèche, il s’approcha assez de la porte de la chambre afin d’entendre :
__- Je crois que la situation empire, il est de plus en plus persuadé qu’elle est réelle, plus qu’une amie imaginaire. Je ne sais pas comment lui faire comprendre, comment elle peut disparaître.
__- Elle disparaîtra sûrement dans quelques années. Néanmoins, je pense qu’il serait mieux d’aller lui faire voir un psychologue pour qu’il puisse en parler et se détacher d’elle, il y a sûrement une raison au fait qu’elle a commencé à exister.
__- J’espère qu’elle finira par disparaître, ça m’inquiète de le voir parler seul.
__Alexis ne put en écouter d’avantage. Il courut dans sa chambre et se roula en boule sur le lit. Il pleurait, toutes les larmes de son corps inondaient bientôt ses draps. Ils voulaient la tuer. Ils voulaient qu’elle disparaisse, elle, sa seule amie, celle avec qui il aime jouer, parler, rire, celle qui faisait de lui un enfant normal. Il voudrait faire quelque chose, mais ce n’était qu’un enfant. Et si les grandes personnes souhaitaient la mort de Sophie, ils l’auraient. Il le savait, les grandes personnes ont toujours ce qu’ils souhaitent.
__- Ne pleure pas, les grands ne veulent jamais qu’on reste, ils finissent toujours par nous détruire, je ne ferais pas exception, le consola Sophie.
__- Mais je veux pas qu’ils te tuent, répondit la voix secouée de sanglots de l’enfant.
__- Ils le feront, un jour ou l’autre. Comme tous les autres. Je ne suis pas réelle.
__- Mais je veux pas ! Je veux pas les voir te faire du mal, et te tuer.
__- Mais il le f…
__- Va-t’en !
__Sophie recula, surprise.
__- Va-t’en, avant qu’ils te tuent. Disparais, reviens jamais, je veux pas que tu meures, je veux que tu partes, je préfère que tu sois loin, mais en vie. Alors maintenant pars.
__L’amie imaginaire lança un dernier regard à son ami réel, les yeux embués de larmes, et s’effaça, quittant le monde réel pour toujours.
__Ce n’est que quelques heures plus tard qu’Alexis finit par se réveiller, les yeux encore remplis de larmes. Seulement, il ne reconnut pas sa chambre. Il se trouvait dans le champ de fleurs. Au loin, Sophie courait. Elle était si jolie…
__Elle l’aperçut et répondit à sa question silencieuse :
__- Ici, c’est le monde des rêves, de l’imaginaire. Je serais toujours là, la nuit. Maintenant, je te laisserais tranquille chez toi.
__Elle lui déposa un baiser sur la joue. Il était heureux.