[Neikka & Anyamany] Les péchés capitaux

Il fut un temps ou le soleil brillait aux yeux de tous, et sa lumière éblouissante semblait réchauffer le monde entier.
Ce jour-là, comme un autre, elle effleura de ses doux rayons le visage paisible d'une jeune femme endormie. Cette dernière ouvrit rapidement les yeux ; les refermant aussitôt. Elle tourna la tête, serrant de ses bras le petit oreiller, exactement pareil à celui sur lequel reposait sa frêle nuque.

Cependant, un bruit la fit sursauter, et ainsi rouvrir ses paupières, battant ses longs cils noirs. Des bruits de pas, de plus en plus fortement, résonnaient à ses oreilles, troublant son si délicieux sommeil. Qui ose ? La porte s'ouvrit alors. Sur lui.
Grand, beau ; un charme ténébreux. Les cheveux bruns, comme elle, les yeux sombres, comme elle. Son frère. Son double. Son jumeau.

-Que me veux-tu ? Grommela la jeune femme, toujours blottie dans ses draps immaculés si confortables.

-Simplement te réveiller, et puis, il me semble que père exige de te parler, répondit-il avec calme, avançant dans la pièce tout en fermant la grande porte blanche derrière lui.

-Eh bien, ne peut-il donc venir ici ?

-Tu sais bien, Eleanor, que ce n'est pas correct de venir ainsi dans la chambre d'une jeune fille.

-Et qu'es-tu en train de faire, je te le demande ?

-C'est différent.

-Quoi qu'il en soit, je reste ici jusqu'à ce qu'il vienne de lui-même. Retourne auprès de mademoiselle...Qui est donc ta favorite du moment ?

-Son nom t'intéresse-t-il vraiment ? Répliqua-t-il avec un petit sourire en coin, avant de tourner les talons et de repartir comme si de rien n'était.

Mais alors que sa main se posait sur la poignée de la porte, celle-ci s'ouvrit. Un quinquagénaire aux allures austères, quoique bienveillantes, lui faisait face. Le jeune inclina respectueusement la tête.

-Père...

-Il me faut vous entretenir d'une chose de la plus haute importance.

Eleanor se redressa tant bien que mal afin d'être assise plutôt qu'allongée ; invitant ainsi leur père à continuer.

-Andréas, Eleanor, mes chers enfants...Me voilà heureux de vous annoncer que vous allez vous marier !

-Q-quoi ?! Fut leur seule réaction.

-Vous voilà âgés tous deux de dix-huit ans. Ne croyez-vous pas qu'il est temps pour vous de grandir ? Toi, Andréas, penses-tu que je ne sais rien de ce qu'il se passe dans le château ? Tes conquêtes d'un soir, c'est fini maintenant. Tu ne peux plus te permettre, en tant qu'héritier du titre de marquis, de t'abaisser à cela. Et toi, Eleanor, il te faut désormais te comporter en dame, et non plus dormir et paresser de la sorte.

-Mais père, je ne veux pas être une dame !

-Mais père, je ne veux pas être votre héritier !

Ils parlèrent en même temps, d'une même voix indignée et suppliante à la fois.

-Mais dans la vie, on ne peut se contenter que de ce que l'on désire. Croyez-vous qu'il me plaît de vous déplaire ?

-Non, plutôt qu'il vous déplaît de nous plaire, grinça Andréas du bout des lèvres.

Le père commençait à perdre patience. Il se contenta de décocher un regard noir à son fils, avant de tourner les talons, en claquant la porte derrière lui. Les deux jeunes gens se dévisagèrent.

-Je ne veux pas me marier, je ne veux pas ! Lâcha finalement Eleanor, troublée par la nouvelle. Je ne veux pas changer mes habitudes, je ne veux pas devenir une « dame » ou je ne sais quoi !

-Moi non plus, je ne veux pas changer et je ne veux pas que tu changes. On va trouver une solution., tenta de la rassurer Andréas, cependant peu convaincu.

-Mais y en a-t-il une, Andréas ? Ne me mens pas, vois-tu comment nous sortir de ce pétrin ?

-Hé bien...

Il réfléchit, puis il lui sembla se rappeler de tellement de choses et si peu à la fois. Tout était confus, tant il cherchait, encore et encore, tout se mélangeait, un fouillis sans queue ni tête. Des images, des mots, des bruits, des idées...Tout. Mais rien qui ne pouvait les aider, ni lui ni elle.

Ainsi, les jours passèrent tandis qu'ils se creusaient la tête, désespéraient, et sombraient de plus en plus dans leurs péchés respectifs. La douce Eleanor dormait plus encore, le bel Andréas charmait toujours plus de femmes. Mais le moment fatidique approchait dangereusement.

Leur père ne voulait rien entendre quant à leurs protestations, qui, de ce fait, se faisaient de plus en plus rares. Et la veille, on leur sourit, avant le souper, la dernière heure ou tout n'avait pas encore changé.

Eleanor se rendit sur son balcon, des larmes silencieuses coulant sur ses joues. Le plus terrible était qu'elle ne savait rien de son futur mari, de ce qui l'attendait, mis à part que tout serait plus dur, que plus jamais elle n'aurait le loisir de dormir à toute heure, à jamais, comme elle le souhaitait. « Tu seras une grande dame, ma fille !» disait son père. Des paroles toujours plus destructrices. Elle voulait...Elle voulait ne plus avoir à rien faire, elle voulait dormir. Et, faisant face au soleil couchant, elle murmura, à lui comme à elle-même :

-Oh, si tu pouvais ne plus jamais te lever, ne plus jamais me réveiller...Je resterais là, endormie et plus rien ne m'atteindrait.

Elle s'en retourna dans sa chambre, ravalant ses larmes, s'endormant pour les endiguer une fois encore.
A l'opposé du château, Andréas fixait la lune. Si belle, si grande, si lumineuse. Si elle était humaine...Il l'embrasserait, la serrerait contre lui et...

-Oh, lune, si tu pouvais être là, près de moi, si seulement, si tu étais la dernière.
Une présence dans son dos, des bras qui encerclèrent sa taille, des lèvres dans son cou. Des pas, des baisers ; une ultime tentation, l'ultime péché.

Le monde sans lueurs, sans couleurs et sans joie, le monde est gris maintenant.
Les vœux des péchés furent exaucés.