Dire ou ne pas dire
Le soleil brille en ce début d’année scolaire. Les enfants se retrouvent dans la cour de récréation, s’embrassant, s’étreignant, trépignant. Les bavardages envahissent l’école et les cris de joie se font bientôt entendre. C’est l’heure des retrouvailles.
Seule une petite fille reste de côté. Cheveux bruns, yeux vifs, une incongrue tristesse est pourtant présente dans le regard d’habitude si joyeux d’Emma. Sa petite robe jaune se plisse tandis qu’elle s’assoit à même le sol, en tailleur. Elle observe les effusions de gaieté qui l’entourent mais ne parvient pas à y prendre part. Une discrète larme, transparente et fragile, s’échappe de ses yeux et dévale sa joue rebondie.
Helene, son amie, et son petit frère Mark, viennent d’arriver. Un pas dans la cour, puis deux, leurs yeux parcourent cet espace si familier qu’ils ont quitté pendant deux mois. Puis une bande de garnements fond sur le garçon, le tire par le bras, l’amène vers les cages de football. La fillette blonde, quant à elle, parcourt la cour de ses yeux perçants.
Ces derniers se posent finalement sur Emma, qui s’est recroquevillée, et Helene la rejoint en quelques enjambées sautillantes et s’accroupit devant.
« Hello ! s’exclame-t-elle, et sa voix est si joyeuse qu’il paraît y avoir des paillettes. Comment tu vas ?
- Hmm. »
Emma hoche la tête, mais son grommèlement mécontent parvient aux oreilles d’Helene comme un mauvais présage. Celle-ci s’affale contre le mur, aux côtés de la brune, penche la tête sur le côté et admire un instant le ciel. Elle veut soutenir son amie. Mais comment faire ?
« Tu sais, je préfèrerais être seule. »
Elle sursaute en entendant ces mots. Ils sont étranges provenant de la petite fille. Elle qui d’habitude recherche le soutient, la compagnie, la présence exubérante de ses camarades.
« Quelque chose ne va pas, dit-elle alors, et sa phrase sonne comme une affirmation. Me dis pas le contraire, ça se voit tout de suite.
- … »
Un long silence succède la question muette d’Helene. Elle désespère d’avoir une explication à cet accès de morosité, mais finalement, Emma ouvre la bouche.
« Mon grand frère est parti en pension hier matin… Il devait entrer au collège de la ville, vu qu’il a onze ans, mais finalement il va en Ecosse… Ça s’est décidé au milieu des grandes vacances, mais je pensais encore que c’était une blague. »
La fillette joue avec la poussière qui s’est incrustée entre les pavés. Elle n’ose pas relever la tête de peur qu’Helene devine qu’il y a autre chose. Elle est vraiment très perspicace.
« Mais… pourquoi ? s’étonne la blonde. Il devait aller avec Jack à Tudor College !
- Oui je sais, mais…
- Quoi ? »
Emma tripote nerveusement le tissu de son jupon qui traîne par terre. Elle veut parler, elle veut se confier à sa meilleure amie, c’est indéniable. Mais… non ! Ses parents lui ont ordonné de ne rien dire. Ne rien dire, à personne. Pourtant, ça lui ferait tellement de bien…
« Je… j’peux pas le dire…
- Pourquoi ? Je suis ton amie, ou pas ? »
Elle relève la tête. Les yeux verts inquisiteurs de son amie l’impressionnent un peu, et elle prend son inspiration. Elle souffle immédiatement. Ses parents avaient l’air sérieux, quand ils lui ont dit de se taire. Et elle avait promis. Une promesse, c’est fait pour être respectée, non ? Et un secret, c’est fait pour être gardé. Pour être tu. N’est-ce pas ?
« Allez, reprend Helene, lui attrapant une main. Tu peux me faire confiance, non ? Est-ce que j’ai déjà dit à quelqu’un que tu étais amoureuse de-
- Shhhhht, moins fort, souffle Emma, affolée. On pourrait t’entendre ! »
Helene hausse les épaules, regarde autour d’elle, ne remarque personne. Elle adresse un petit sourire contrit à Emma, et elle sait qu’elle est pardonnée. Après tout, elle n’a pas fait exprès.
La petite brune soupire de soulagement. Le sujet semble clos. Elle n’a plus besoin de se taire. Mais Helene, bien que digne de confiance, est particulièrement curieuse quand il s’agit de quelque chose que sa meilleure amie lui cache.
« Alors, pourquoi ton frère est parti en Ecosse ? C’est vraiment loin, quand même. »
Le regard d’Emma s’humidifie, son cœur se serre, son frère n’est plus là. Le sourire avenant de l’autre fillette brise ses dernières défenses, et elle se livre en un sanglot.
« Mon frère… En fait, il est parti à un collège, Poudlard… Parce que c’est un sorcier… »
Elle renifle, et tombe en pleurs dans les bras d’une Helene stupéfaite.