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Acteurs :
Le narrateur (Monsieur R.)
Le barman
Le chef du gang des Baraqués
Milo, le petit jeune homme, épais comme un « sandwich SNCF »
La scène se déroule dans un bistrot
L’ouverture se fait sur un bar, où est accoudé le narrateur. Le barman essuie indéfiniment le même verre. Le chef du gang est attablé deux tables plus loin que celle de Milo.
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Scène unique
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Le narrateur, le barman, le chef du gang des Baraqués et Milo
Le narrateur, se tournant vers le public: La raison du plus fort est toujours la meilleure. C’est ce que nous allons vous montrer tout à l’heure.
Le narrateur boit son verre de bière et désigne au public Milo, tenant en ses mains, lui, un verre de limonade : Mais n’est-ce pas là un bien beau jeune homme : bien habillé, propre sur lui. Il n’a décidément pas le style des clients habituels ! Que fait-il donc là ? Aurait-il décidé de s’encanailler en pareil endroit?
Que nenni, mes amis ! Seule la soif, croyez-moi, l’a attiré en ces lieux !
Le narrateur reposant bruyamment son verre sur le bar, le ton saccadé par l’émotion et sur-jouant : Malheur ! Non loin de là, un loup des rues, avide d’aventures et d’hémoglobine repère le pauvre hère…
Le chef de gang, plein de rage, se lève et s’approche de la table de Milo : Qui te rend si hardi de t’aventurer en cet endroit et te permet ainsi de troubler ma tranquillité ?
Le chef de gang, posant les poings sur la table de Milo : Tu seras châtié pour ta témérité !
Le narrateur souriant et sarcastique, en aparté pour le public : On peut être un dur et posséder du vocabulaire.
Milo, osant à peine lever les yeux vers le chef du gang, répond : Monsieur, ne vous mettez donc pas en colère.
Le narrateur, grimaçant : Aïe, ce genre de petite réflexion est bien la meilleure façon de mettre l’autre en colère…
Milo, continuant : Et constatez plutôt que je me tiens bien éloigné de vous et que je n’ai ici d’autre but que de boire un seul verre de limonade sans pour autant vous gêner ou que vous en manquiez, n’êtes-vous point à la vodka, vous-même ? Ce n’est pas moi qui vous en priverai ! Je ne bois pas d’alcool.
Milo, désignant son verre : Regardez à quart vide est ce verre et je suis déjà presque parti, sans vous causer dommage, voyons. Je ne peux en aucun cas être taxé de troubler votre boisson ou votre tranquillité.
Le chef de gang, cruel, rugit : Tu la troubles !
S’asseyant, le chef de gang reprend plus doucement : Et je sais tout le mal que tu as dit de moi l’an passé, toutes ces rumeurs que tu as fait courir sur mon compte.
Milo, franchement surpris : Mais comment l’aurais-je fait ? Je ne vous connais même pas !
Le chef de gang, désinvolte : Si ce n’est pas toi qui as fait courir toutes ces rumeurs…
Le chef de gang, mimant des trémas avec les doigts et laissant trainer la voix : … « Des rumeurs comme quoi, j’aurais dépouillé, moi, deux, trois vieilles dames sans défense ».
Le chef de gang durcissant le ton : Qu’on le sache : je ne m’en prends jamais aux vieilles dames !
Si ce n’est toi, disais-je, c’est donc ton frère !
Milo, secouant la tête : Je suis fils unique, Monsieur.
Le chef de gang, balayant d’une grimace la réplique et d’un air méprisant : C’est donc quelqu’un de ton clan car vous ne m’épargnez guère, vous, les bien-pensants, les biens peignés, les culs serrés, les bourgeois bohèmes, les bo-bos. On me l’a dit. Il faut que je me venge ! Tu me serviras d’exemple, sois-en flatté !
Le chef de gang attrape Milo par le revers de sa chemise, le force à se mettre debout et sort de la scène sans que les pieds du pauvre Milo ne touchent terre.Le narrateur, reprenant son verre : Ainsi que je vous le prédisais : la loi du plus fort est et restera toujours la meilleure. Cette leçon vaut bien un fromage, non ?
Le barman posant un petit pot de cubes de fromage en face du narrateur : Nous aurions pu lui filer un coup de main au petiot, quand même.
Le narrateur, pensif : Ils ne t’avaient pas payé leur consommation ?
Le barman : Si, j’encaisse toujours avant, ça évite les problèmes. Il n’empêche que nous aurions pu prendre la défense du gamin, nous aurions pu…
Le narrateur souriant à nouveau, coupant la parole au barman et levant l’index vers le plafond : Oui, nous aurions pu. Et nous le ferons un autre jour, le jour où j’aurai décidé d’illustrer ce célèbre adage « l’union fait la force ».
Tomber de rideau.
Scénette, librement inspirée de la fable« Le loup et l’agneau » de Jean de la Fontaine avec une mini-rikiki référence à une autre fable: « Le corbeau et le renard » du même auteur.