[vote] (Stern & Lehanna) Contes et légendes

La colère d'Héra

Noir. Tout est noir. Absolument tout. Autant mes yeux ne voient rien, autant mes oreilles n’entendent pas. Mais mes yeux ne m’inquiètent pas. Je les tiens fermés. Mes oreilles, si. Par Apollon, je suis sourde. Je m’en rappelle, maintenant. Mais pas aveugle, je viens d’ouvrir les yeux.
Je me sens mal ; même allongée, j’ai envie de vomir.
Mon intuition me souffle que je suis en hauteur… Une montagne. Je suis perplexe. Pourquoi une montagne ? Le Mont Hélicon est détruit, alors de quelle montagne peut-il s’agir ? L’Olympe. Le Mont Olympe, ça ne peut-être que lui. Dans ce cas, je devrai être en mesure de trouver Apollon. Non ? L’une de ses muses ne se doit pas d’être perdue. Ma tête me tourne quand je me lève, et le noir m’engloutit à nouveau quand je tente de faire un pas. Les souvenirs cauchemardesques de ma fuite, après que mes tympans soient perforés, me reviennent.

J’étais accompagnée d’une nymphe des sources limpides du Mont Hélicon. Je lui rendais souvent visite, sa gentillesse confondante me ravissait. Echo. Je ne pourrais jamais plus entendre sa voix.
La raison la plus évidente est, naturellement, que je suis… sourde (il faut sincèrement que je me fasse à cette idée. Mais rien que de penser le mot, ou m’en souvenir, m’insupporte). Mais l’autre, moins évidente… Echo a perdu sa voix, pour sauver trois des siennes. Trois autres nymphes.
À ce moment, j’entendais encore… C’est quand Héra, à qui Echo racontait des histoires à dormir debout pour la distraire, et ainsi sauver les nymphes qui étaient dans les bras du puissant Zeus, s’en rendit compte (qu’Echo détournait son attention)… Elle a du utiliser l’un de ses puissant pouvoir de déesse, ou hurler à s’en rompre les cordes vocales, quoi qu’il en soit, l’instant d’après, je n’entendais plus. Un liquide poisseux, rouge sombre, s’écoulait de mes oreilles. Du sang.
Scandalisée et terrorisée, les mains portées à mes oreilles invalides, j’observais le visage à la beauté divine d’Héra. Sa peau claire, ses joues colorées de rose, elle était vraiment belle. Ses yeux noirs, profonds comme un puits, lançaient des éclairs. Ses yeux étaient surmontés d’un épais très noir de maquillage, qui rehaussait sa colère. Sa bouche, d’un rouge profond, assortie à ses ongles écarlates et à sa robe, incitait à la prudence.
Ne mettez pas en colère cette femme, et vous aurez la vie sauve. Autrement…
La déesse agitait frénétiquement ses mains, ses lèvres remuaient sans que je n’entende de rien, mais quand elle finit son curieux rituel, Echo se tenait la gorge à deux mains, l’air de s’étouffer ou de ne plus pouvoir parler. Elle m’a fait comprendre plus tard, avec des gestes, que c’était bien le cas : elle ne pouvait plus produire de bruit de son plein grès.
Puis Héra partit d’un rire machiavélique et fou. Même si je ne percevais rien, il n’était pas compliqué de comprendre qu’elle riait : son tremblement incontrôlé, sa bouche tordue en un rictus cruel… Je ne connaissais que trop bien le son qui devait sortir de cette bouche.
Alors, tout se passa très vite. Les nymphes, occupées dans la grotte dont se servait Zeus pour être infidèle à sa déesse de femme, sortirent à toute vitesse pour voir ce qui se passait, comprenant trop tard qu’elles allaient signer leur arrêt de mort.
Elles étaient trois, d’une beauté éblouissante. Deux d’entre elles, filles de l’eau, avaient la peau bleutée et les cheveux marine et brillants, ornés de coquillages. L’une remettait du mieux qu’elle pouvait sa tunique tissée d’algues. La troisième, la peau diaphane, scintillante comme des cristaux, avait le visage constellé de tâches de rousseurs, telle une nuit particulièrement pleine d’étoiles. Ses cheveux écarlates rivalisaient de couleur avec la robe fendue qu’Héra portait. Il n’était pas compliqué de savoir pourquoi Zeus les voulait dans sa couche, surtout à côté du visage actuellement inhumain de sa femme. Zeus voulait toutes les plus belles. Absolument toutes.
Sans attendre le sort qui serait réservé aux trois malheureuses nymphes, je m’emparai de la main blanche d’Echo, et l’entraînai plus loin pour qu’on puisse descendre en vitesse de cette montagne aride qu’était le Mont Hélicon. En passant devant la déesse, je remarquai que ses cheveux, ainsi que sa robe, avait pris feu… et mon empressement ne fut que plus vif. La divinité ne lui réussissait décidément pas. Et nous avons couru, toujours couru, parfois nous descendions les plantes grimpantes qui étaient un raccourci.
La peur que m’inspirait cette femme était atroce. Et je suppose qu’à ce moment c’était pour moi un avantage de ne plus rien entendre, étant donné que de grandes colonnes de feu, de rochers et de cendres s’élevait à l’endroit que j’avais quitté. Et au regard de l’expression d’Echo, ça devait faire un boucan impressionnant.
Plusieurs tritons, naïades, dryades ainsi que nymphes avaient les yeux fixés sur le plateau que nous venions de fuir. La plupart avaient les yeux exorbités et un air profondément terrifiés, mais quelques uns semblaient animés d’une curiosité malsaine.
Je décidai que je ne pouvais plus, ne voulais plus de ce spectacle. Je me détournai, et entraînant Echo dans mon sillage, je m’enfonçai dans la forêt noire, épaisse, profonde, dans l’intention de rejoindre le Mont Olympe et d’informer mon maître Apollon de mon statut de sourde.
C’est alors que la montagne explosa. Je me retournai, entraînée par Echo, et je me fis plaquer au sol. Echo s’était mise au dessus de moi pour que je ne me fasse pas broyée par les pierres qui giclaient du Mont Hélicon. Bien lui en prit, car ma surdité m’aurait empêché de les entendre arriver, et donc de les éviter.
Je tentai de rouler sur moi-même, faisant basculer Echo sur le côté, pour ainsi être plus libre de mes mouvements, quand une explosion monumentale m’éjecta sur le côté, et les ténèbres m’engloutirent.

Quand je reprends mes esprits, je suis de nouveau allongée dans un lit aux draps de lin immaculés. Je me sens beaucoup mieux ; autant tout à l’heure j’étais nauséeuse, autant maintenant je déborde d’énergie. Energie que j’ai besoin de dépenser quelque part.
Je me lève à nouveau, cette fois avec précaution, et je constate que je n’ai pas le tournis. Mon corps, sales de terre et pleines de cicatrices et de brûlures quelques heures plus tôt, est immaculé comme la peau d’un bébé. Mes cheveux cuivre me tombent en cascade dans le dos. J’en déduis que j’ai été entièrement soignée et lavée.
Je traîne les pieds jusqu’à la fenêtre, et je constate que je me trouve dans un château au dessus des nuages. Pas de doute, je suis bien dans la demeure des dieux. Sans doute dans l’aile réservée à leurs serviteurs.
Je me détourne, franchis la porte située à l’opposé, et me met à la recherche de mon maître Apollon pour le mettre au courant de mes récentes mésaventures et de ma situation actuelle.
Une muse sourde. Digne d’entrer dans la légende.

Le Roi Gris

Il était une fois dans le royaume de Bretagne, la fin de la terre, la région la plus à l'ouest de notre monde, un couple de charpentier qui donna naissance un matin de printemps à un garçon nommé Luca.

Le monde est couleurs.

Ma mère me montra les étranges créatures qui l'ont créé ainsi. Ce jour-là, elle me tira dans la forêt noire et sombre du Léon. Le genre de forêt dont un étranger ne revient pas. Nous marchâmes longtemps dans les bas sous-bois, entre les troncs noirs et les ombres allongées. Elle passait sa main blanche sur l'écorce noire et rugueuse, s'appuyait sur les branches noueuses et inspectait des plantes inconnues, l'air inquiet. Elle frottait les feuilles verdâtres entre ses doigts, reniflait leur odeur ou esquivait une grimace hésitante. Finalement, elle me fit un signe de la main et pointa du doigt vers une clairière tout de gris. En son centre se dressait un menhir. Il avait le gris du métal, le grain de la peau, la beauté de la lune. Et à son pied, à peine dissimulés par son ombre noire, se tenaient trois êtres semblables à des bébés ridés, de grandes oreilles, vêtus de vêtements incroyables en cuir sauvage. La forêt sentait l'humus, humide et primaire. Dans le crépuscule, je crus leur peau blanche et brillante comme du cristal.

Des Korrigans.
Des Korrigans.

Leur nom se trouvent dans tous les livres, dans tous les contes, dans toutes les légendes. Chaque inscription les évoquant fait naître la crainte dans le cœur des hommes. Rien ne m'avait préparé à en rencontrer un jour au détour d'un chemin et encore moins que ce fut ma mère, cette petite femme rondelette et sans histoire, qui fut la fidèle détentrice de leur secret. Savoir trouver les Korrigans était un trésor inestimable.

Bien des années plus tard, je fus reçu par le Roi en personne pour une commande qu'il souhaitait faire pour sa fille. Il en est du hasard comme des fleurs, il croît là où on l'attend le moins. Le dernier des soucis du Roi, ce jour-là, était bien le cadeau qu'il souhaitait faire à sa fille, je le sus au moment même où j'eus posé le pied sur le parquet brillant de sa salle du trône. Au milieu des couleurs chatoyantes, effervescentes du palais, le Roi était entièrement gris. Ses cheveux autrefois blonds étaient gris comme la cendre, sa peau rosée ressemblait à l'eau de la mer en pleine tempête, ses yeux bleus n'étaient plus que de profonds puits noirs et indéchiffrables. Il se baladait au milieu de ses sujets hauts en couleurs, la mine grise, l'air accablé. Il avait perdu ses couleurs.

Mon cœur s'arrêta et je me laissai choir à terre, horrifié, la tête baissée. Je me demandais par quel ensorcellement Bleiz, dernier des druides, avait pu m'affecter à une telle mission, quand je sentis sur mon épaule la main du Roi. Sa peau grise et froide contre ma peau brûlée par le soleil. Levant la tête, je rencontrai ses yeux sans fonds. Ses lèvres grisâtres esquivèrent un sourire : je ne pouvais refuser. D'un geste lent, j'effleurai la peau grise de sa joue, une boule se forma dans mon ventre. J'allais devoir guider le Roi de Bretagne trouver les Korrigans.

Je n'étais pas retourné dans le Léon depuis cette fois où ma mère m'y avait emmené. Rien n'avait changé. Lorsque nous y arrivâmes à la tombée du jour, la forêt avait cette même silhouette énorme et infinie, sillonnant la plaine comme un serpent vénéneux. Nous nous arrêtâmes à la lisière et y plantèrent notre camp pour la nuit. Deux gardes nous accompagnaient, deux vétérans des armes, sincères, mais trop raisonnables pour comprendre la lubie de leur pauvre Roi gris. Dès l'instant où nous allumâmes notre feu à quelques mètres des vieux troncs, je me sentis observé et plus le soleil disparaissait à l'horizon, plus ce sentiment se faisait désagréable. A leur tour, les gardes se mirent à s'agiter, sentant sans trop comprendre que quelque chose arrivait. Quand enfin, le soleil disparu complètement derrière le sommet des arbres, colorant le ciel d'un tendre rose annonciateur de beau temps, les deux gardes pourtant bien éveillés quelques minutes auparavant s'écroulèrent sur le sol, dormant à poing fermé. Je m'approchai d'eux pour les réveiller, mais je dus bien admettre après quelques tentatives infructueuses qu'une force supérieure les empêchaient d'atteindre notre réalité.

C'est alors que commença la longue attente des Korrigans. Certains contes racontent que les Korrigans savent trouver ceux qui les cherchent. Nous nous postâmes donc de chaque côté du feu et tînmes prêts à recevoir les maîtres du Léon. Le Roi gris se tenait un peu tremblant dans le noir de la nuit, son épée dressée bien droite vers la forêt. Les heures passaient sans qu'une seule feuille ne bouge dans les branches des arbres malgré la bise légère. Puis enfin, alors que la lune apparaissait de derrière les arbres et se mettait à éclairer les braises de notre feu, une petite créature que je reconnus comme un représentant de cette espèce apparut à la lisière de la forêt. Sa peau blanche semblait presque éclairer l'herbe autour de lui lorsqu'il s'avança à découvert, l'air tranquille. Il semblait être seul mais des éclats jaunes entre les branchages me signalèrent la présence d'autres Korrigans derrière les arbres du Léon. Le Korrigan ouvrit largement une main aux doigts extraordinairement long en signe de salut et vint s'asseoir sans autre forme de procès près de notre feu. Et il resta là, sans un geste, sans un regard, attendant manifestement quelque chose dont j'ignorai tout. Le Roi s'approcha de lui, tendit une main hésitant pour lui serrer la main mais le Korrigan se contenta de secouer de la tête, se leva et repartit comme il était venu. Nous le regardâmes partir, impuissants.

Nous réfléchîmes tout le jour suivant ce que nous pourrions faire à la prochaine rencontre mais rien ne nous vint et quand le Korrigan réapparut la nuit suivante et s'avança vers notre feu de camp pour s'y installer, le Roi se résolut de ne rien faire qu'attendre. Alors, le Korrigan, lassé d'attendre, retourna à sa forêt.

A la troisième nuit, nous n'avions toujours pas trouvé ce qui pourrait pousser les Korrigans à nous aider. L'un des gardes proposa qu'on lui donnât des offrandes. Le Roi déposa donc ses bijoux et ses pièces d'or en un tas près du feu mais lorsque le Korrigan, toujours le même, vint, il n'y prêta nullement attention. Pis, il eut l'air presque offensé qu'on l'eut cru si bassement attaché à la valeur des choses. Nous craignîmes un instant qu'il ne revint pas mais la nuit suivante comme les nuits précédentes, nous le vîmes quitter la forêt à l'apparition de la lune.

Épuisé, désespéré, le Roi se jeta à ses pieds, déchira ses vêtements, se mit à nu devant la petite créature et brandit son poitrail gris comme un fou. Il pointa d'un doigt sur la couleur de sa peau, juste à la hauteur de son cœur, et fixa le Korrigan comme je n'avais vu personne fixer qui que ce soit. Et comme rien ne se produisit encore, je le vis faire une chose que je ne rapporte ici qu'avec un soupçon de honte : Sans une pensée pour son statut de Roi, l'homme gris se jeta au coup de l'étrange créature blanche, ses genoux gris nus dans la boue brune, ses bras gris enroulés autour du cou brillant du Korrigan. Et alors seulement, le Korrigan se mit à briller d'une lumière douce. Lentement comme la mer qui monte, les couleurs revinrent dans le corps du Roi. D'abord, les doigts, puis les bras, puis les épaules, le tronc et enfin la tête toute entière. Le regard bleu azur miroitant de larmes que le Roi jeta au Korrigan était empli d'une telle reconnaissance que jusqu'à ce jour, je ne sais quelle partie de son corps encore avait perdu les couleurs de la vie.

Ton texte en lui même est bien écrit : il y a peu de fautes (je n'en ai vu que quelques unes, d'étourderies qui malgré tout auraient pu être évitées), les descriptions sont prenantes et nous transportent bien dans l'univers que tu décris, et je trouve qu'elles font même ressortir la surdité de la narratrice, puisqu'elles s'appuient beaucoup plus sur la vision et le ressenti (je ne sais pas si l'effet était volontaire, mais si ça l'est, c'est une bonne idée .). L'histoire est aussi bien menée, écrite d'une manière fluide tout long, mais il y a quand même certains passages un peu flous ( par exemple, tu aurais peut être dû plus expliquer le passage de l'action d'Héra face à Echo, car la scène est assez difficile à comprendre à la 1e lecture comme tu l'as décrite), et de nombreuses répétitions au début du texte qui sont un peu génantes. Néanmoins, la contraire est très bien utilisée.

C'est un très joli texte que tu as écris là ; tu ne fais pas de fautes, et écris d'une manière bien fluide et sympathique à lire. Les descriptions sont bien présentes et permettent de bien visualiser, mais je pense que tu aurais du plus les appuyer, ainsi que les sensations du narrateur, pour que la contrainte de la surdité ressorte plus (ou alors, exprimer complétement que le narrateur n'entend pas, car même si la contrainte est respectée, c'est dommage qu'elle n'ait pas été un peu plus présente ^^). Cependant, j'ai beaucoup aimé l'histoire de la légende en elle même, bien mise en scène, très joliement racontée, et qui m'a bien emportée.