[Votes] Le Mexique

__- Mais où est-elle passée, Doggone ? Ça commence à sérieusement devenir inquiétant !
__Voilà une heure déjà que señora Poivron cherchait sa meilleure amie, señorita Oignon. Elle commencer à s’angoisser. Si elle n’arrivait pas, si elle faisait attendre plus longtemps señorita Tortilla… Elle préférait ne pas y penser. Elle pouvait se mettre dans une rage folle si ses caprices n’étaient pas rapidement assouvis.
__La foule compacte de légumes colorés ne lui facilitait pas la tâche. Elle croyait parfois apercevoir son amie, mais quand elle s’approchait, ses espoirs étaient réduits à néant : il ne s’agissait là que du voisin, señor del Ail, un horripilant snob prétentieux, venu comme tout le monde au rendez-vous donné par la alcalde Tortilla. Celle-ci comptait les habitants. Elle était vraiment maniaque du contrôle, mais cela porterait préjudice à son amie. Qui allait la mettre en retard, à ce rythme ! Car elle allait devoir quitter la place immaculée du centre-ville de Cocina de la Casa.
__Elle se décida à héler un passant, qui lui ressemblait étrangement. Seule sa couleur verte différait de son rouge vif.
__- Señor, señor ! cria señora Poivron. Oh, c’est vous, señor Poivron. Ravi de vous voir. N’auriez-vous pas vu señorita Oignon ?
__- Pas depuis hier soir, querida señora. Permettez-moi de vous dire, on a passé la soirée ensemble, mais elle est bien trop pâlotte. Ça doit être l’obscurité de son panier qui ne lui rend pas service. Le soleil brille toute l’année, pourtant !
__Señora Poivron jura. Il fallait que señorita Oignon s’entiche d’un énergumène qui lui ressemblait ! D’accord, ils faisaient partie de la même « familia » – comprenez, quand on parle de famille chez les légumes, c’est comme quand on parle de couleur de peau chez les humains ; les échalotes étaient cousins des oignons, les piments cousins des poivrons, et ce quelle que soit leur couleur – qu’elle. Elle décida qu’il fallait qu’elle enquête sur sa disparition. Elle avait la matinée pour le faire, la grande réunion commençant à midi.
__Elle leva fièrement la tige et commença à interroger ses voisins. Avaient-ils vu son amie ? Quand pour la dernière fois ? Elle apprit ainsi que señorita Oignon avait été vue pour la dernière fois tard dans la nuit, qui sortait du manoir de señor Poivron en courant et en pleurant. Señora Poivron s’interrogea. Et si le poivron vert avait quelque chose à voir là-dedans ? Son air de légume trop sage ne lui plaisait pas, de toute façon.
__- Il faut que je la retrouve ! s’exclama-t-elle à haute voix.
__- Eh bien, cherchez dans tout le Mexique, je vous souhaite bien du courage, lui répondit señorita Tomate, une rondelette rouge qui allait bientôt se fiancer avec señor del Ail.
__Señora Poivron ignora le sarcasme et tourna les talons. Elle se rendit chez señorita Oignon. Elle plissa les yeux quand elle entra dans sa maison, appelée aussi son panier. Les yeux commencèrent à la piquer, et des relents désagréables d’oignons la frappèrent. C’est pour cette raison qu’elle détestait se rendre chez son amie. Elle alla  dans la chambre, espérant trouver un indice concluant. Elle trouva plusieurs livres de recettes (comme « Mil y uno recetas mexicanas ») et étiquettes étalés en éventail sur le sol, montrant des images sublimes de mannequins de la familia de señorita Oignon caramélisés à souhait. Elle comprit alors que señor Poivron, cet abominable indélicat, avait dû faire ses remarques sur le bronzage à son amie, su querida amiga, et elle les avait prises très à cœur.
__« Peut-être qu’elle s’est suicidée ! », songea señora Poivron avec horreur. Mais elle chassa immédiatement cette éventualité. Non, pas ça. Mais où était-elle, alors ? Une idée lui vint quand elle avisa, coincée sous une étiquette plus volumineuse que les autres, un morceau de page déchiré où elle prit le temps de lire quelques mots. Mais bien sûr !
__Elle sortit en trombe de la chambre, et déboucha dans la rue. Elle parcourut en courant Cocina, grimpant les escaliers et sautant les ustensiles quand ils se dressaient devant elle. Tout n’était peut-être pas perdu, en fin de compte ! Elle ne s’était peut-être pas suicidée ! Si tel avait été le cas, elle en aurait fait baver son « cousin » el pimienta verde. Ça aurait été de son entière faute. Elle finit sa course effrénée près des Plaques de Cuisson, le bâtiment d’esthétisme connu de tous dans la ville.
__C’est là qu’elle remarque une petite forme arrondie sortant du bâtiment. Señora Poivron ne la reconnut tout d’abord pas. Mais au fur et à mesure qu’elle approchait…
__- Señorita Oignon ! s’exclama-t-elle.
__- Señora Poivron, la salua son amie. C’est un plaisir de te voir. Mais, sérieusement, ne peut-on pas aller faire une séance de bronzage tranquillement ?
__- Du bronzage ? Pourquoi faire ? Tu étais très bien, en blanche. Là, tu es presque marron, c’est à peine si je t’ai reconnue.
__- Bien sûr, je me suis faite caramélisée ! Señora Poêle, quand elle m’a vu si pâle, m’a même fait un prix !
__- Señor Poivron t’a vraiment mis de sales idées dans la tête. Ça, il n’y a pas de doute.
__- Mais, je n’avais dit à personne que je venais ici… Comment as-tu fait pour me retrouver ici ?
__- Figure-toi que j’ai été très inquiète ! la réprimanda señora Poivron. Mais tu n’es pas très douée pour cacher les indices. Il m’a suffit de lire un morceau de recette, « … est nécessaire de faire caraméliser vos oignons… », pour comprendre où tu étais.
__- Désolée, s’excusa señora Oignon, piteuse.
__- En plus, tu avais dit qu’on se retrouvait à la grande place, et tu n’es jamais venue.
__- La réunion ! Señorita Tortilla ! s’exclama-t-elle, horrifiée. J’ai complètement oublié !
__- Allez, on a encore quelques minutes, la rassura le légume rouge. Il est temps d’y aller, de retrouver notre bien-aimé chef Sancho Gomez, et on pourra l’aider à préparer une enchilada en bonne et due forme. Car sans toi, c’était foutu !