La Galerie de Blaz

C'était un soir pluvieux, le ciel était gris, le sol trempé et les flaques d'eau salie par la pollution de la métropole s'amoncelaient le long des nombreuses rues pavées de petites briques rougeâtres, qui, toutes rassemblées, donnaient une image de ville historique bercée par le soleil. Les volets étaient tous fermés, les portes elles, l'étaient à double-tour et les seuls bruit que l'on pouvait discerner étaient le murmure du vent qui sévissait dans la région depuis plus d'un mois et les clapotements des légères gouttes d'eau qui, lentement, comme retenues par un bouclier invisible, tombaient dans les grisâtres nappes d'eau.

Alice, Alice...

Un homme marchait, la tête baissée, comme pour qu'on ne puisse pas le reconnaître, et son visage était en grande majorité caché par un couvre-chef noir, avec une bande de tissu noir qui brillait faiblement dans la nuit. Du peu que l'on pouvait voir, ses yeux étaient marrons, ses cheveux corbeaux et son visage était fin, recouvert avec finesse d'une petite barbe brune. Son front étant caché, on ne pouvait savoir si il n'avait des rides.

Laisse-moi en haut de la liste...

Quelques mètres devant lui, une jeune femme avançait, accompagné d'un homme d'âge mûr. Ses longs cheveux étaient retenus en une queue-de-cheval, qui, toutefois, lui tombait jusqu'aux hanches. Ses yeux étaient d'un bleu éclatant, et elle portait une légère robe azur pâle, par-dessus laquelle elle avait enfilé une petite veste en jean. A ses pieds, des chaussures indigo claquaient à chacun de ses pas très faiblement.

Comme l'amour en libre-service...

L'homme brun paraissait la suivre, mais très discrètement, comme si...comme si il ne voulait pas être vu. Alors, si son silence apparent était dû à une gêne muette, cela expliquerait la distance qui le séparait du jeune couple. Ne restait plus qu'à trouver la raison de cette gêne.

Alice...

Ils continuaient tous de marcher, ne parlant qu'entre eux -ce qui, pour l'homme au chapeau, signifiait qu'il parlait seul-, mais tellement peu bruyamment que pour les entendre, il aurait fallu tendre l'oreille. La pluie devenait intense, alors, le couple se pressa un peu, laissant l'homme derrière, seul, abandonné.

Ne me fais pas descendre...

Soudain, les bruits s'estompèrent, et avec eux la pluie. Il était arrivé au cimetière. Il ouvrit le portail qui grinçai bruyamment, et avança, le pas lourd, vers une tombe de marbre. Alors, il déposa les fleurs, qu'il avait gardé au sec dans son chapeau, puis, mit un genou à terre, avant de lire ce message qu'il avait lui-même écrit il y a 10 ans, avant la mort de celle qu'il aimait, de sa raison de vivre, de cette jeune fille qui l'avait émerveillé, de celle qui avait été sa compagne pendant 2 ans, de celle que la mort lui avait volé, sans aucune pitié, de celle qu'il avait lui-même enterré, de celle avec qui il était sorti ce soir-là, de celle dont il avait suivi l'illusion ce soir-là.

Alice, Alice...

Dans le manoir des Delacour, la fête bat son plein. Tous les convives portent de splendides costumes, agrémentés avec finesse de masques sombres, de bijoux rutilants et de perruques mises en ordre. Les sons s'arrêtent et les conversations font de même. Là, sur le long escalier mi-or mi-bois de Mme. Delacour, une jeune fille descend marche par marche, peinant cause de ses talons. Son teint est pâle, ses cheveux bruns sont coiffés en queue-de-cheval impeccable. Ses yeux bleu azur s'accordent à merveille avec les discrètes taches de rousseur qui sont présentes sur ses joues. La future marquise Kristen Delacour est là.

Les majestueux saules roses laissent chuter leurs longues branches feuillues perlées de gouttes limpides. Le tronc est large, et à lui seul, on pourrait réchauffer une colonie entière. Un minuscule être ailé volette tout autour de ce magnifique ouvrage naturel. Ses ailes sont pailletées de paillettes bleu foncé, sa chevelure soyeuse est colorée et son corps demeurera à jamais fin et gracile. Partout derrière elle, une légère poudre brille quelques temps à la lumière astrale avant de disparaître à jamais dans l'air. Le spectacle obtenu émerveillerait les plus renommés artistes tout en les inspirant pour au moins un long siècle.

Au milieu de la végétation abondante du massif d'une belle forêt, une personne court discrètement, retenant sa respiration. Un arc et des flèches sont accrochés en bandoulière à ses solides épaules. Ses longs cheveux tombent en arrière, et aucun n'est visible sur son large front. Peu vêtue, elle est égratignée mais ne souffre pas, habituée à la douleur. Sa proie apparaît, un sublime cerf couleur bois aux yeux chocolat qui brillent. Subitement, à la vue de la jeune femme, part à toute allure, sautant de temps en temps pour se donner plus de vitesse et éviter les probables obstacles.

Habillée d'une longue robe de mousseline rose pâle, aux bords de dentelle blancs, la couronne d'or ornée de saphirs turquoise qui brillent, bien propres, sur les cheveux couleur neige superbement bien coiffés, une femme assez jeune discute avec ses amies très chères de la Cour. Elle s'ennuie, ô oui, à un point incroyable. Ce palais manque d'animation, et toutes les règles imposées à la royauté n'autorisent rien sauf l'oisif. Le roi est toujours occupé, les rues veulent la mort de la famille royale...Cette existence inactive n'était pas pour elle...Pourquoi s'être marié avec ce Louis ? Obligation parentale. La reine bâilla.

La peur saisit mes côtes, foudroyante, coulant le long de mon corps. L'obscurité ne laisse rien apparaître, et, soyons clair, ça ne m'arrange pas. Je cours, mes pieds éraflés par les multiples ronces finement dissimulées. Mon jean déchiré laisse le froid frapper ma peau avec violence. Il peut apparaître n'importe quand. Je me retourne. Je n'aurais pas dû. Il m'attrape, sa tête cachée par une capuche noire comme la nuit. Je hurle. Je le griffe. Le liquide écarlate coule. Il me lâche, avant de crier de douleur et de s'effondrer par terre. Il se relève. J'accélère. S'il m'attrape, je meurs.

Le noir total. L'obscurité du néant. Mes yeux ont beau être grands ouverts, je ne reconnais rien autour de moi. Le silence absolu. Pas un bruit. Mes oreilles ont beau être très attentives, je ne décèle aucun son. Jusqu'à ce qu'une voix, mélange d’aiguë et de grave, assez veloutée et d'une puissance forte résonne, dans ma tête, dans mes entrailles, partout. Une présence vers moi. L'obscurité dévoile ses secrets. Je sens son souffle chaud sur le long de mes cheveux. Je frémis, et rougis, malgré moi. Elle me prend la main, courant avec moi. Je n'ai que 17 ans, j'ai du mal à la suivre. Une faible lumière l'entoure. Ses longs cheveux blonds, ses yeux d'émeraude profonde, ses vêtements si chics...Pas de doute, c'est bien elle. La seule personne de ma dynastie capable de faire fondre mâle et femelle. Celle dont la légende a inspiré le nom. Celle dont les seuls pêchés étaient l'insouciance. Celle qui ne jouait jamais avec la luxure. Celle qui a eu des enfants de l'astre. Celle que tout le monde avait préféré à ses sœurs. Celle qui était la fierté de sa mère.
Pandore était avec moi, me forçant à la suivre, vers un lieu qui m'était inconnu.
Elle avance vite, courant avec la pureté des plus rares destriers. Elle est si belle, même dans l'obscurité...Allons, voilà que je cède à son magique charme moi aussi...Ressaisis-toi, Nolwenn ! Cette femme est ton ancêtre, mais également le plus grand des mystères de ta famille. Les énigmes qui l'entourent sont nombreuses et toutes liées à son âge adulte et à ces légendes qui la concernent. Elle était si triste, vers la fin de sa vie. Elle est morte comme son fils avait failli périr lui aussi. La même journée. La même heure. Pour des raisons de jalousie de son côté, pour un amour pour l'autre. L'un avait été sauvé par Lalia, l'autre s'était noyée, sans dignité, sans la moindre aide. Puis, elle s'était réveillée dans une salle sombre, où trônait trois sièges. Lalia était là. Physos aussi. Elle avait pris place sur le troisième fauteuil, laissant la place aux générations futures.
Et aujourd'hui, Pandore était là, me donnant la main comme à une enfant fragile, comme on protégerait une petite fleur égarée.
Je n'avais aucune idée de sa destination, réellement. Mais, à un moment, elle se stoppa, puis, par le geste d'un doigt posé en vertical sur son nez, m'intima le silence, avant d'entrer dans la salle. Je frémis. Ils étaient là. Lalia. Lucifer. Physos. Léo. Alice. Jean-Damien. Héliodore et Antoine. Callioppe, Sélène, Emma, Sabrina, Neikka, Sasura et Pablo. Shadow et Nayla. Myosotis et Ferrero. James. Sans oublier Alice. Et mon papy, mort quelques mois plutôt, Adam. Tous réunis. Et, non pas par orgueil mais par instinct, je sentais que j'étais la raison de leur venue.
Alors, j'avançais, mes pas étant les seuls bruits que l'on pouvait déceler.

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