[ageneral & Blaz]Un inconnu dans la rue

La chaleur qui pesait sur la Nouvelle-Orléans rendait la marche pénible aux piétons qui sillonnaient la rue Saint Philip. Les arbres du Parc Louis Armstrong qui longeait la rue, apportaient un peu d’ombre aux trottoirs jonchés de bancs. Assis sur l’un d’eux, un homme d’une cinquantaine d’années contemplait les passants, le regard empli de douceur et de mélancolie.
Certains jours, il restait des heures durant à contempler les gens. Qu’il pleuve, qu’il vente au comme ce jour qu’il fasse une chaleur écrasante, il restait impassible du matin au soir à observer, se remémorant douloureusement ses années passées.
Ancien jazzeur des rues de la Nouvelle Orléans, qui à une époque jouait de la trompette ou même de la clarinette, il avait eu du succès et les gens s’affairaient autour de lui pour entendre sa musique et l’applaudir. Il avait une femme et des enfants, beaucoup d’enfants même, et la vie de cet homme avait un jour respiré la joie de vivre. A cette époque, il vivait au rythme de sa musique et des généreux pourboires, emporté par l’effervescence de la plus grande ville de Louisiane. Il avait tous ce dont il rêvait jusqu’à ce qu’apparaisse l’Ouragan de Katrina.
C’était en 2005 que tous bascula, et en plus d’avoir ravagé une partie de la ville, l’ouragan avait surtout anéanti sa paisible existence. Les inondations découlant de la catastrophe ont décimés sa maison et amputés sa famille, désormais en deuil. Incapable de se relever, il est devenu dépressif et indifférent, délaissant sa famille restante ainsi que la musique pourtant encrée dans ses gènes. Mais ce fut celle-ci qui lui permit de sortir de cette spirale infernale, quand petit à petit la ville retrouva ses activités d’antan, lui permettant de rejouer de ses instruments à qui voulait bien l’entendre. Certes son succès était moindre qu’auparavant mais sa vie pouvait enfin reprendre un sens, celui qu’il avait toujours connu et qu’il chérissait tant.
Les années passèrent comme un long fleuve tranquille, au son du jazz des rues de la Nouvelle Orléans, laissant cet homme vieillir paisiblement aux côtés de ses enfants qui grandissaient inlassablement. Il était alors devenu l’inconnu de la rue Saint Philip, prostré sur son banc, attisant la curiosité des passants qui le dévisageaient en se demandant pourquoi cet homme restait dans cette rue bondée de musiciens.