[Eoziaah et Chocolate ] Révélation

Les fougères ont toujours vécu selon les règles universelles fougèresques, qui ont traversé le temps et l'espace et que toutes suivent avec obéissance. Mais ce jour-là, le monde allait changer. Fougéra XIV, dernière née d'une lignée de nobles filicophytes respectables, marchait avec ses congénères dans les clairières millénaires. Elle était empreinte d'une vive douleur à son cœur : elle était éprise d'un jeune fils du roi. Ses frondes étaient éblouissantes de joie dans les jungles ténébreuses. Depuis combien de temps était-elle amoureuse de cet individu inaccessible ? Ça lui parut être une éternité. Mais jamais elle ne pourrait vivre avec lui. Elle n'était pas sa promise. Leur amour n'était pas réciproque. Pourtant elle avait tout. Les richesses, la beauté, la fertilité. Mais le roi en avait décidé autrement. Le mariage avec cette Filicopha d'Austruche était prévu pour la semaine prochaine. Et Fougéra, elle, était désespérée. Pourquoi vivre sans amour ? De toute évidence, elle n'en aimerait aucun autre.

Elle avait croisé son regard pour la première fois lors d'un bal mondain organisé par le Roi. Le vert éclatant de son corps, elle ne l'oublierait jamais…

* * *

Il était tard. J'observais les étoiles à travers les feuilles des arbres. Elles étaient incroyablement brillantes, ce soir-là. Il n'était pas là. Elle et lui étaient à l'intérieur. Ils célébraient le mariage. Leur mariage. Je n'ai pas pu rester. Le chagrin me submergeait, je me sentais étouffée par ces promesses d'amour éternel, prononcées sur fond de musique effroyablement niaise. Cela me donnait envie de vomir.
J'avais tout pour lui. Il avait tout pour moi. Mais le roi a préféré une princesse venant d'une fougeraie lointaine. Sûrement voulait-il opérer une alliance avec le roi d'Austruche.
Regardant dans le vide, je fus subitement attirée par des orchidées qui élevaient avec passion leurs jeunes pousses. Et puis un éclair me vint. Devais-je me résigner à mon sort ? Ou pourrais-je échapper à cet horrible futur sans mon âme sœur ? Étais-je prisonnière de ces chênes, oui, ces chênes dont les racines promettaient de me faire vivre dans la tristesse, ou plutôt mourir ?

* * *

Je faisais les cent pas dans ma chambre. La fête battait son plein, les anneaux ont été échangés. Mais cela ne m'enchantait guère. Pourquoi devoir l'épouser, elle, cette fougère dont je ne savais même pas l'existence il y a quelques semaines ? Je suffoquais. Oh, et puis, quelle importance ? Ma présence ne leur est plus d'aucune utilité désormais, les alliances ont été faites. Las d'être manipulé par mon père, je me faufilai hors du château et fuis dans la nuit, errant dans les ombres.

* * *

J'étais toujours dans cet état de désespoir. J'avançais à travers le chemin, ne voyant pas où j'allais et me prenant bien souvent des racines dans les frondes. Mon esprit était brouillé par la tristesse, cette tristesse qui m'empêcherait de dormir pendant des jours, des semaines, peut-être même des mois. Et puis viendrait ensuite la dépression.
Soudain, je vis une forme avancer entre les lianes. Je n'avais pas peur. Je ne sentais que le goût amer de cet amour impossible.
...cet amour impossible qui était à présent devant moi, qui avait surgit des buissons tout près. Il était là. Il m'observais. Que dire ? Que ressentir ? Pourquoi était-il venu ?
« - Comment allez vous mademoiselle ? Chuchota-t-il.
- Je...euh...ça va et...vous ?
- Oh, ça pourrait aller mieux…. »
Et puis il se tut.
Il m'emmena à travers bois et buissons, vers un endroit « magique » disait-il. Moi, je n'osais pas le regarder, de peur qu'il ne m'échappe. Était-ce un rêve ? Pourquoi serait-il parti du mariage ?
Une émotion indescriptible s'empara alors de moi. Il avait poussé un buissons de ses feuilles vigoureuses, et nous débouchâmes sur une prairie éclairée par la pleine lune. Des lucioles brillaient de partout, et paraissaient se refléter aux étoiles dans le ciel clair d'été.
Et nous comprîmes. Il était ma révélation. J'étais sa révélation. Alors nos frondes s'entremêlèrent et des nuages de spores se joignirent aux lucioles et aux étoiles.