LénaCrow Maitre bâtisseur Date d'inscription : 02/02/2014 Age : 50 Localisation : In the dark wood ;)
| Sujet: [C'est Noël sur SA!] Le conte des Giàng Sinh Ven 25 Déc 2015, 10:23 | |
| En collaboration avec Delise, Léna, Morgane, Linette, et Love - Spoiler:
"La nuit tombait sur Tiên giới (le pays des merveilles), les sommets du Ngọn núi lửa thiêng liêng (volcan sacré) disparaissaient petit à petit dans une brume qui ne tarderait pas à noyer la vallée... Se laissant caresser par les derniers rayons du Soleil, un groupe de Chà vá chân đỏ (espèce de singes) s'attroupa paresseusement près d'un bosquet, tandis que résonnaient les trilles des Cú muỗi châu Á (oiseaux).
Comme à son habitude, après une dure journée de labeur, à cueillir les cerises des caféiers, Anh Nguyệt, aspirant à un peu de calme et de plénitude, se dirigea vers la suối nóng (source chaude), cette cuvette naturelle lovée dans le creux des rochers et protégée à la vue par d'immenses fougères arborescentes lui promettait une détente bien méritée. En effet, les mois de Novembre et de Décembre, sont pour son petit village, 2 mois cruciaux pour la cueillette, Décembre arrive à son terme dans quelques jours, et il reste encore tant à faire...
Assise sur le bord d'un rocher, Anh Nguyệt comtempla d'un air rêveur les derniers rayons de soleil qui se reflétaient dans le ruissellement de l'eau de source. C'est alors qu'un oiseau vint se poser sur son épaule, il tenait dans son bec une petite pièce d'argent qu'il déposa au creux de sa main. Puis il leva sa petite tête vers Anh Nguyệt et entonna quelques trilles, au milieu desquelles la jeune fille eut l'impression étrange de distinguer les mots "thanh sơn" (montagne bleue). Puis, il s'envola au moment où le dernier rayon du soleil disparaissait derrière la montagne pour laisser place à la nuit étoilée.
Perplexe, Anh Nguyệt leva la tête vers les sommets, puis contempla la petite pièce qui luisait dans la paume de sa main... Mais qu'est ce que cela pouvait bien signifier ? Refermant ses doigts sur son petit trésor, elle se laissa glisser langoureusement dans les eaux chaudes, pour savourer encore un peu plus ce moment hors du temps. La jeune femme soupira et laissa son regard se voiler tandis qu’un étrange bien-être l’envahissait. Ses cheveux noirs qui tombaient au creux de ses reins se collèrent à son dos mouillé, seule un petite mèche rebelle agitée par le doux zéphyr qui se mit à souffler, lui chatouillait le nez. Anh Nguyệt aimait écouter le vent lui susurrer des contes venus d’ailleurs et lui chuchoter à l’oreille des mots inconnus. Le vent était son ami. Un ami qui l’aimait et l’acceptait, elle, la điên (folle). Ses pupilles singulières, l'une noire comme la nuit et l'autre dorée comme le soleil, scrutèrent les cieux. La lune, timide et pâle semblait lui murmurer de ne pas perdre espoir, jamais. Un timide sourire s’esquissa alors sur les lèvres de la jeune femme brune. Ses prunelles fixèrent encore les étoiles tandis qu’elle s’enfonçait doucement dans une agréable torpeur, la pièce toujours serrée entre ses doigts fins. Elle écoutait le vent chanter à son oreille : thanh sơn.
La nuit s'avançait, la brume recouvrait petit à petit le plan d'eau... Tout à coup un sifflement strident tira Anh Nguyệt de sa rêverie, elle sursauta, brusquement saisie d'un sentiment d'urgence, la pièce d'argent s'était mise à luire dans sa paume, d'abord faiblement puis de plus en plus intensément au fur et à mesure que s'amplifiait le sifflement. Anh Nguyệt se précipita hors de l'eau tiède. Ce qui était un moment de plénitude il y a encore quelques secondes, tournait à la panique.... Les pupilles dilatées, la jeune fille cherchait à comprendre ce qu'il se passait. Jetant des coups d'oeil inquiets autour d'elle, son poing toujours serré sur la pièce. Elle ne comprenait pas ce qui arrivait. La brume sur les flots, la lune qui jouait à cache cache avec elle, la pièce qui luisait de plus en plus intensément, le sifflement... assourdissant.. et le zéphyr devenu gió mạnh (vent violent) qui tordait maintenant sa chevelure en flammes noires furieuses... Subitement, elle se cabra de douleur, plaquant sa main libre sur son œil à la pupille dorée, il s'était mis à la brûler, comme si le feu de son iris répondait au givre de la pièce. Une silhouette commença alors à se matérialiser entre les fougères... La douleur qui vrillait son oeil doré s'intensifia, n'y tenant plus Anh Nguyệt, tomba à genoux, lâchant par la même la petite pièce d'argent qui roula en tintant vers l'ombre qui prenait corps.
-Anh Nguyệt, Anh Nguyệt, tonna une voix caverneuse qui ne semblait pas seulement émaner de la silhouette, mais aussi des rochers environnants tel un écho dévalant la montagne. A l'appel de son nom, la jeune femme leva la tête, -Que me voulez vous hurla t'elle !!! Les mains plaquées sur son visage, comme si cela pouvait la soulager encore. -Regarde moi.... Diên !!! Clama la voix. Elle osa alors retirer ses mains, laissant voir les larmes de douleur qui ruisselaient sur ses joues. -Que me voulez vous? Cria encore Anh Nguyệt, réprimant ses sanglots. -Tu as été choisie diên. -Par qui, et pour quoi ? Pleura encore la jeune fille. -Việc cử hành Giáng sinh (les célébrations de noël) arrivent, repris l'ombre qui prenait de l'épaisseur. Tu devra mener les célébrations, ainsi en ont décidés les Vị Thần Của Núi Lửa Thiêng Liêng (les Dieux du volcan sacré), et pour cela tu dois te préparer.
Surprise, Anh Nguyệt, oubliant la douleur qui lui vrillait les yeux, laissa tomber ses mains sur ses genoux. L'ombre s'était épaissie encore et prenait un contour perceptible. Encore aveuglée, Anh Nguyệt essaya de déterminer celui à qui elle avait affaire. Quand tout à coup, dans un éclat encore plus intense, apparu enfin une forme définie. Elle pu alors voir ce qui se tenait devant elle... C'était Con Rồng (dragon), le dragon messager des Dieux... Posté là dans toute sa splendeur, illuminé par la lueur intensément argentée de la pièce qui scintillait à ses pieds. Cette lueur se reflétait sur le rouge feu de ses écailles, les pattes arrière bien plantées dans le sol rocailleux des sources chaudes, il se dressait là dans toute son immensité devant Anh Nguyêt et dardait son immense tête en direction de la jeune fille. Ses ailes, semblables à celles des chauve-souris des profondes grottes de la montagne, reposaient sur ses flancs, ses flancs d'où émanait une lueur rouge sang qui pulsait à l'unisson de sa respiration brûlante. Sa queue, se déplaçait lentement, d'un côté à l'autre, hypnotisante mais étrangement, non menaçante. Ses yeux à la pupille oblongue, fixaient notre héroïne avec intensité. Malgré elle, Anh Nguyêt baissa la tête devant l'être de légende. Il y avait tant de splendeur, tant de puissance, tant de majesté en lui, qu'elle ne pouvait faire autrement. Il était si impressionnant. Elle lutta pour le regarder encore, et ne put alors plus en détacher son regard. C'est ainsi qu'elle remarqua que lui aussi avait des pupilles différentes et que l'une d'elles était exactement comme la sienne : dorée.
- Mais Noël a lieu dans exactement 3 jours. Comment voulez-vous que j'organise ces célébrations ? Que dois-je faire ? Que se passera-t-il si j'échoue ? Se lamenta Anh Nguyêt. - Tu devras organiser le Noël le plus incroyable que Tiên giới ait jamais connu. Ình yêu, Gia đình, Chia sẻ (Amour, famille, partage) sont les maîtres mots de cette célébration, à toi seule de savoir ce qu'il te reste à faire. L'avenir du village est entre tes mains, si tu réussis, l'année qui suit sera la plus abondante et fertile de tous les temps. Dans le cas contraire, j'ai bien peur que vous ne réussissiez à passer l'hiver ...
L'être divin s'évapora alors dans une fumée glaciale et la lueur argenté de la pièce s'éteignit. La jeune femme récupéra la pièce d'argent désormais si précieuse à ses yeux et se leva pour rentrer chez elle. Eprouvée par cette scène elle soupira. Elle n'aspirait qu'à finir sa nuit bien en sécurité dans son lit désormais. Elle regarda alors la Lune et réalisa que la nuit était déjà bien avancée et qu'à cette heure, la Lune non plus ne tarderait pas, à aller se coucher aussi... Anh Nguyệt pris donc le chemin du retour. Les questions se bousculaient dans sa tête. Elle jetait fréquemment des coups d'oeil sur la petite pièce qui ne luisait plus que faiblement dans la paume de sa main, comme si celle ci pouvait répondre à ses questions: Devait elle en parler à sa mère, au chef du village, aux anciens? Jamais, depuis qu'elle était née, elle n'avait entendu parler de cette célébration particulière. Certes, chaque année en cette période, le village préparait les festivités de Giang sinh. Mais elle ne savait rien sur comment résoudre le mystère de la requête de Con Rồng. Absorbée par ses réflexions, Anh Nguyệt perdit la notion du temps,et ne prit conscience d'être arrivée au village que lorsque débouchant sur la place elle réalisa que seul le silence régnait en maître. Pas d'enfant courant dans les ruelles ou jouant à cache-cache entre les pilotis, par d'anciens fumant leurs pipe sur le paliers des maisons pour savourer la douceur de la soirée... personne... Les ruelles étaient vides. Certes, quelques lumières vacillaient encore aux fenêtres, crevant de-ci de-là l'obscurité, projetant des lueurs dansantes sur les murs tressés de bambous des maisons traditionnelles; mais elles étaient faibles, rendues fantomatiques par la brume qui serpentait entre les pilotis... Un brume épaisse, ouatée, qui semblait avoir engourdie le village... Un brume limite menaçante, comme si la nature savait que quelque chose d'important se préparait et que la brume voulait protéger ce secret ... Même le đình (maison communale) qui trône au centre de la place était enveloppé de silence. Les rubans qui ornaient ses piliers ne frémissaient pas, même les feuillages des banians centenaires, des frangipaniers et des aréquiers qui l'entourent ne bruissaient pas.
Interdite, Anh Nguyệt marqua un temps d'arrêt. Un frisson remonta le long de son échine, la pressant de rentrer. C'est en courant qu'elle prit donc le chemin de sa demeure, ne ralentissant que lorsqu'elle aperçut enfin la silhouette familière et rassurante de son foyer. Elle gravit rapidement les quelques marches qui menaient à la terrasse, puis s'arrêta sur le palier pour reprendre son souffle. Elle se retourna pour jeter un coup d'oeil inquiet sur la brume environnante, mais n'aperçut rien de menaçant. Haussant les épaules comme si elle se moquait d'elle même,Anh Nguyệt franchit alors le pas de la porte, pour se retrouver instantanément dans la chaleur bienveillante de son foyer. Une odeur de fumée, et de cuisine flottait encore dans la pièce principale,souvenir du feu joyeux sur lequel il y a quelques heures encore devait mijoter le diner. Il n'en restait plus qu'un tas de cendres rougeoyantes désormais. Anh Nguyêt inspira profondément ce mélange d'odeurs de cendre et d'épices, ce qui eut pour effet de faire disparaître instantanément ses tourments. Elle se dirigea ensuite vers l'autel des anciens, religieusement entretenu, alluma une des bougies posée là, elle y déposa la petite pièce d'argent, puis elle s'agenouilla et pria:
"Par l'offrande de cette pièce d'argent, acceptez Tổ tiên đáng kính (vénérables ancêtres) de m'aider à réaliser la requête annoncée, donnez moi dans mes rêves la clé de ce secret, qu'enfin à mon lever je puisse, avec votre aide, accomplir ma destinée..."
Priant pour que les anciens exaucent sa demande, Anh Nguyệt dina rapidement d'un Bun Bo Hue qu'elle réchauffa sur son vieux fourneau. Toute lumière avait disparue, désormais, la nuit était seule maitresse des lieux. Elle finit son diner, puis, à la lumière des Nến (bougies), tressa son épaisse chevelure avant de s'allonger dans son lit. Rompue par sa journée, sa dernière pensée fut pour les anciens : "J'ai besoin de votre aide..." Puis elle ferma les yeux et ne vit donc pas la pièce d'argent qui se remit à luire doucement, là où elle l'avait posée. Une lumière douce, comme apaisée.
Durant la nuit, Anh Nguyêt rêva. Et dans ses rêves elle vit: "Tout d'abord, une vibration de l'air, à peine perceptible, dans une auréole d'argent qui attirait ses sens, cette vibration se transforma ensuite en une mélodie douce et mélancolique..." Anh Nguyệt connaissait ce morceau... Elle fronça les sourcils dans son sommeil, son inconscient travaillait à reconnaître cette musique... "Puis une silhouette se dessina en contre jour..." C'était une ombre féminine, jouant d'une Ông tiêu (flûte droite). Anh Nguyệt, s'efforça de mettre un visage sur cette projection de son esprit, concentrant son attention sur le morceau que jouait cette femme... Elle le connaissait, mais d'où ? La jeune femme s'agita sur sa natte, troublée par cette mélodie qui semblait venir du fond des âges. "L'espace d'un instant l'image en contre jour se brouilla..." Il sembla alors à Anh Nguyệt que son esprit tentait de fuir... "Soudainement, une main blanche de nacre surgit de nulle part, interrompit brusquement la douce mélodie du Ông tiêu la tirant de son rêve..." Anh Nguyệt s'éveilla alors, en nage et le coeur palpitant... La petite pièce d'argent continuait à luire, diffusant une douce clarté faite de volutes d'argent. La jeune femme tourna alors son regard en direction de la lumière, attiré par son effet apaisant. Soupirant de soulagement, elle sentit son rythme cardiaque s'apaiser petit à petit... Mais soudain, un air de flûte perça le silence ... Anh Nguyệt se raidit, son rêve prenait forme, là en face d'elle et pour de vrai... Les volutes d'argent pulsaient en cadence avec la musique, Anh Nguyệt attendait l'apparition qui ne manquerait pas de suivre... C'est alors qu'elle survient, la silhouette en ombre chinoise... Grandissante. Comme dans son rêve l'image se flouta juste avant que n'apparaisse le bras blanc. Anh Nguyệt arrêta de respirer, allait-elle enfin savoir qui se cachait derrière cette manifestation étrange? Le bras blanc apparut enfin et dans l'instant elle su a qui il appartenait. Huyền Trân (qui signifie merveille), Huyền Trân sa bà ngoại (grand mère) !!! Anh Nguyệt, n'en croyait pas ses yeux, devant elle se tenait sa grand mère adorée, disparue depuis 15 ans, elle ne l'avait que peu connue, mais les 5 premières années de sa vie, n'avaient été bercées que par Huyền Trân, ses chants mélodieux et ses histoires fantastiques. Ces années avaient marquée la jeune Anh Nguyệt. Et bien sûr qu'elle connaissait cet air de flûte, c'était celui que sa grand mère lui jouait lorsqu'elle tardait à trouver le sommeil. La jeune femme écarquilla ses prunelles d'étonnement. Huyền Trân, hiératique, auréolée d'argent, resplendissait dans son ao dài traditionnel, les deux pans de sa tunique flottaient autour d'elle, laissant apercevoir le pourpre du pantalon qu'elle portait en dessous, sur la soie ivoire de son ao dài était représenté Con Rồng, le dragon mytique, reconnaissable à ses yeux dissemblables, le noir et l'or. Autour de son cou Huyền Trân portait, attaché à un cordon de cuir, la petite pièce d'argent qu'Anh Nguyêt avait rapportée du suối nóng plus tôt dans la soirée. Figée dans une jeunesse éternelle, Huyền Trân regarda la jeune femme et lui sourit. Le son de la flûte cessa et Huyền Trân, de sa voix cristalline lui dit alors: "Người yêu (ma chérie), cô gái nhỏ của tôi (ma petite fille).Cette année marque la fin d'un cycle (dans le calendrier vietnamien, un cycle=60 ans), le dernier tronc du dernier rameau, Quý Hợi, parce que tu es ma petite fille, et que je fus le premier tronc du premier rameau de ce village, puisque aujourd'hui j'aurais eu 60 années luni-solaires, il te revient de mener les festivités cette année. Pour cela, je te remets mon huy chương bạc (médaillon d'argent), sers t'en pour parer Tiên giới de ses plus beaux atours, honorez pour moi les 3 piliers de cette célébration, que sont Ình yêu, Gia đình et Chia sẻ (Amour, Famille, Partage) et tu auras réussi ta mission, tu deviendras à ton tour la dépositaire du huy chương bạc, il te faudra le garder jusqu'à que revienne le dernier tronc du dernier rameau... A ce moment là tu connaîtras celle qui perpétuera la tradition et tu lui remettras ce médaillon.Ta tâche sera alors accomplie et tu pourras ainsi me rejoindre dans la lumière." Sur ces mots, la silhouette de Huyền Trân s'évanouit, ne laissant que le médaillon seul posé sur le tapis en paille de riz qui recouvrait le sol. Anh Nguyệt encore abasourdie par ce qu'elle venait de vivre, se pencha pour récupérer la médaille d'argent, elle l'observa attentivement. Sur une face elle reconnu Con rong, et sur l'autre le symbole de la prospérité. C'est étrange, se dit-elle, il n'y avait rien de gravé sur la pièce qu'elle avait rapportée?? Perplexe, elle se la passa tout de même autour du cou. Celle-ci était tiède et douce au contact de sa peau, apaisante. Rassurée par cette sensation, Anh Nguyệt se recoucha. La main posée sur le coeur, elle ferma les yeux et sentit la petite pièce pulser sous ses doigts avant de sombrer enfin dans un sommeil réparateur.... Demain serait le début de sa nouvelle vie. Elle était devenue la messagère de la Déesse Mère, Liễu Hạnh, la protectrice des foyers et la garante de la prospérité du village."
|
|