Après avoir longuement sonné à la porte, j’entends quelqu’un approché. La porte s’ouvre et un petit garçon aux cheveux tous ébouriffés se tient devant moi. Ce petit bout est tout le portrait de sa mère. Il a la même lueur maline dans les yeux que ma sœur. Surtout quand il a fait une bêtise. Mais je décide de faire comme si je n’avais rien remarqué. Après tout, c’est Noël et je ne vais pas gâcher cet instant.
« Qui est-ce, mon lapin ? »
« Mamie, c’est tonton ! »
Sur ces mots, le petit se retourne et décampe dans le couloir.
« Viens ici mon chéri. »
« Bonjour maman. Tu vas bien. »
« Mais toujours … Mais entre donc, tu vas attraper froid ! »
Puis la vieille femme me laisse et retourne en cuisine. C’est assez étrange qu’elle ne m’ait pas posé des questions sur l’absence de ma femme.
« Alors Michel, tu viens avec nous dans le salon ou tu préfères faire la plante verte ? »
« Oui, je viens sœurette ! Laisse-moi le temps de poser mon manteau ! »
« Et tu es tout seul ? »
« Nancy arrivera un peu plus tard. Elle a encore du travail à finir … »
« Mais ça devient une habitude ! Chaque année, elle se fait désirer ! A croire qu’elle le fait exprès … »
C’est vrai que vu comme ça, c’est assez étrange. Ce n’est pourtant pas dans son tempérament. Elle déteste faire attendre les gens. Ce n’est pas parce qu’elle est députée qu’elle se sent supérieure aux autres. Elle sait que le temps est précieux. C’est la seule chose qui ne s’achète pas et que les riches comme les pauvres bénéficient de même.
*
Mes parents adorent décorer leur maison. Chaque fois que je viens, la décoration n’est plus la même que la fois précédente. Je suis dans le fauteuil à côté du sapin. Je regarde un des nombreux tableaux exposés dans le salon. Ce sont ceux d’un vieux voisin qui a perdu sa fille et sa femme dans un accident de voiture. Depuis ce triste évènement, il est tombé dans une sombre dépression. Avant, ses tableaux étaient plein de vie. Mais la vie c’est peu à peu effacé pour laisser place aux tourments. Un léger mouvement dans ma poche me fait sortir de ma rêverie picturale.
« Commencez à manger sans moi … »
Mais que fait donc Nancy ? Je trouve cela très inquiétant. J’essaie de la rappeler, mais je tombe sur son répondeur. Je suppose qu’elle est trop occupée pour me répondre. Je réessaierai plus tard.
« Maman, je viens de recevoir un message de Nancy. Elle dit que l’on peut commencer à manger. Elle nous rejoindra. »
« Va donc préparer la table avec ta sœur ! »
*
La famille est rassemblée autour de la table. Jason joue avec son petit van bleu. Ma sœur regarde d’un air rêveur son mari qui parle avec papa. Et moi, je pense à ma Nancy, devant son ordinateur, fronçant les sourcils. Qu’elle est belle. Ses longs cheveux noirs lui descendent jusqu’aux reins. Ses yeux bleus comme l’océan se ferment. Elle respire et rouvre les yeux. Maman apporte l’entrée. Des tourteaux. Le crustacé préféré de Nancy. C’est papa, en parfait gentleman, qui fait le service. Le début du repas se déroule dans un silence quasi religieux, bien que personne ne soit croyant. Puis maman débarrasse et retourne à la cuisine. Les discussions reprennent pour essayer de deviner quelle merveille nous mangerons ensuite. Personne ne le sait car maman a tout préparé seule, refusant notre aide. La place vide à mes côtés me rappelle que Nancy n’est pas là.
Je m’excuse auprès de ma famille et me dirige vers le jardin. Là, je sors mon téléphone et compose le numéro de Nancy. Elle ne répond toujours pas. Et je commence à m’inquiéter. Je téléphone une seconde fois, puis une troisième.
Ma sœur, sur le perron, m’observe.
« Viens, Michel, maman à apporter la suite. Tu ne devineras jamais ce que c’est. »
A ce moment, mon téléphone sonne. Je le sors de ma poche et lit « Nancy ». Soulagé, je décroche enfin.
« Allo, mon amour … Tu ne peux pas savoir à quel point je me suis fait du soucis. Ne recommence pas à me faire un coup pareil. »
« Excusez-moi, monsieur, mais je suis de la morgue. Nous venons de trouver votre femme morte. Son corps est recouvert d’ecchymoses et elle est défigurée, à peine reconnaissable. »
Je laisse tomber mon téléphone. Je suis sous le choc. Je la revoie, pleine de vie, faisant des projets, pour nous et pour notre avenir. Non, ça ne peut pas de terminer comme ça. Ce n’est pas possible.
« Papa, maman, venez vite ! Michel devient tout blanc. Venez … »
Mais paupières deviennent lourdes. Un voile noir s’abaisse devant mes yeux. Et je me sens tomber.
*
Non loin de là, dans une grotte, une femme est étendue sur le sol. Un homme tout droit sorti d’un film de série X regarde son téléphone avec dédain.
« C’était si simple, je n’en reviens pas. Ce Michel est si crédule … Tout compte fait, ce n’était pas un adverse digne de moi. »
Il se tourne vers la femme. Un sourire se forme. Il la désire. Tout son corps est dur.
« Ma chère Nancy, que vais-je bien faire de toi ? Tu es belle, morte, devant moi. Je me demande si je te transforme ou si tu restes là, sans vie. Tu vois, je ne sais pas. Je t’ai tué par pure jalousie. Cet homme avait tout. Une fulgurante carrière, une splendide maison, et surtout une magnifique femme. Et maintenant que je lui ai enlevé le plus important dans sa vie, je te veux. Je te veux pour moi tout seul. Mais que m’as-tu fait, Nancy ? ».