[Maeleo & Camelya & Angelwing] Au petit bonheur la chance

Je recule. En calligraphie ancienne, on peut lire au-dessus du bâtiment '' Au petit bonheur la chance ''. Ouvrir la porte ou ne pas ouvrir la porte, telle est la question. Quand Thalia m'a parlé de ce lieu, j'ai d’abord ri, évidemment. Un cabinet de voyance. Quelle idée ! Mais après tout, je ne suis plus à ça près. Comme le dit Thalia, je suis au bord du gouffre. Quand je me lève le matin, ce n'est pas par volonté, mais par obligation. D'après elle, si j'apprends que j'aurai un futur merveilleux, je retrouverai ma joie de vivre. Encore faut-il que j'aie de la chance. Avec un grand soupir, je me décide finalement à ouvrir la porte. À l'intérieur, c'est très sobre. Ce n'est pas du tout l'idée que j'avais d'un cabinet de voyance. Je m'approche d'une sorte de guichet près de l'entrée. Une étrange femme aux cheveux roses s'approche de moi. Elle me dit avec une voix très aiguë : « Bonjour, je m'appelle Terence. Que puis-je faire pour vous ? Vous avez rendez-vous ? » D'abord intimidée, je reste un instant la bouche ouverte, avant de me ressaisir. « Excusez-moi, je m'appelle Tracy, et je viens pour … » Je fouille dans mon sac à main pour trouver le nom de la voyante que me conseille Thalia. « Madame Horville. J'ai rendez-vous. » Avec un sourire, elle regarde sur son ordinateur. « Tracy Gilbert ? » Je hoche la tête. « Mme Horville est actuellement avec un autre client. Veuillez patienter s'il vous plaît. » Elle me montre d'un geste la salle d'attente. Je lui souris poliment puis m'y dirige, et m'installe dans un fauteuil. Distraitement, j'observe les clients qui attendent comme moi leur tour. Il y a deux femmes et un homme. N'ayant jamais entendu parler de ce lieu avant, je ne me doutais pas qu'il y aurait autant de monde. Soudain, une femme s'approche de moi. « Mademoiselle Gilbert ? » Je hoche à nouveau la tête. « Madame Horville est disponible. » Je la suis. Elle m'indique une porte, et je la remercie avec un sourire. Poliment, j'entre dans une petite pièce, et m'approche du bureau, derrière lequel est assise une femme d'âge mûr. Elle a des cheveux décolorés et la bouche pincée. Comment Thalia a pu l'apprécier ? Elle a l'air tout sauf accueillante. Elle m'indique d'un geste distrait le fauteuil et je m'y assied. Madame Horville reste d'abord penchée sur ses papiers. Je soupire et me racle la gorge. Aucune réaction. Je commence à désespérer, lorsqu'elle lève brusquement la tête et me regarde fixement. « Je sais que vous ne croyez pas à la voyance. Si vous n'avez pas la Foi, vous n'avez rien à faire ici. » J'écarquille les yeux. Elle me terrifie. Comment réagir à une agression comme celle-ci ? Je ne bouge pas d'un millimètre. Elle pince à nouveau les lèvres puis se lève et se dirige vers une étagère dans un coin de la pièce. Lorsqu'elle s'assoit à nouveau à son bureau, elle plonge son regard dans le mien. « Vous avec donc décidé de rester. Bien. » J'attends la suite, mais elle ne vient pas. Elle se détourne. Je me demande si elle va me congédier ainsi, mais elle ne le fait pas. J'attends encore. Lorsqu'elle se retourne enfin vers moi, elle se décide à ma parler. « Je vois en vous de grandes choses. » Pas un mot de plus. Je commence à me dire que j'ai été arnaquée, lorsque ses yeux s'écarquillent brusquement. « Évitez le bateau. Votre avenir ne s'écrit pas dans les mers. Évitez les avions. Votre avenir ne s'écrit pas dans les nuages. » Je ne comprends pas un mot de ce qu'elle me raconte. Elle ne cesse alors de répéter les mêmes phrases. Je me lève brusquement et lui dit, même si je sais qu'elle ne m'écoute pas: « Au revoir et … merci ! ».

Lorsque j'ai annoncé au chauffeur ma destination, j'ai cru que le pauvre homme allait défaillir. Il m'a demandé si j'étais bien sur de mon choix : évidemment ! Auriez-vous déjà vu le Dr James Peterson douter ?
A présent je me trouvais devant une petite façade sinistre. Impossible de voir l’intérieur de l'auberge depuis la ruelle où je me trouvais et pourtant on pouvait deviner une atmosphère pesante qui se dégageait du lieu. La devanture annonçait « Au petit bonheur la chance » dans de jolis déliés noir souligné par un trait doré. C'était l'un de ces endroits que vous ne voulez pas découvrir, mais il fallait bien que j'entre. On m'avait confié une mission et jamais je n'avais renoncé. Soudain je sentis une présence dans mon dos. Je regardais du coin de l’œil puis me retournai brusquement et je vis un rideau bouger au premier étage de la maison d'en face. On m'observait donc ? Très bien, je n'ai jamais aimé passer inaperçu.
Bon, il était temps de passer le seuil de cet établissement. À l'instant où je posai la main sur la poignée un frisson me parcouru le bras, l'épaule puis le cou. Rassemblant mon courage de poussai la porte et une odeur de rance m’assaillit. L'obscurité de la pièce était telle que j'avançais à tâtons et le temps que mes yeux s'acclimatent à cette nouvelle ambiance, mon pied rencontra un objet très dur.
Doucement je commençais à distinguer quelques éléments : je me trouvais dans une pièce relativement petite, aux murs verdâtre et au plafond bas. À ma droite, un banc en bois sculpté – un magnifique objet – à ma gauche, une sorte de gargouille creusée en son sein qui accueillait un parapluie. Voilà donc ce que mon pied avait rencontré quelques secondes auparavant. En face de moi se trouvait un petit guéridon style Louis XV, marqueté. Sur celui-ci était posé un cadre noir, très sobre disant : « La réception de l'auberge est au fond du couloir » avec une petite flèche m'indiquant un long couloir, si long qu'on ne pouvait discerner sa fin.
Je pris donc la direction indiquée : l'odeur devint plus âcre et l'obscurité devint plus sombre encore. Mes chaussures de ville – à 249 £ la paire, tout de même – ne faisait pas le moindre bruit. En effet, maintenant que je baissais les yeux je vis que le sol était recouvert d'une moquette couleur lie-de-vin. En avançant, j'observais les murs : le tableau d'une vielle femme succédait à la tête d'un pauvre sanglier, elle-même succédant à une gravure des plus étrange. Je ne sais pas qui avait été en charge de la décoration de l'endroit mais il faudrait lui intenter un procès...
Enfin, après au moins une vingtaine de pas, j'arrivais à la dite-réception. Une pièce semblable à ce que j'avais déjà pu voir et sans aucune fenêtre : mais où étais-je arrivé ? Je posais ma petite valise à mes pieds et en me relevant, je sentis un courant d'air froid dans ma nuque. J'avais sans doute mal refermé la porte. Au moment même où cette pensée traversa mon esprit, j'entendis la porte de l'auberge se fermer dans un grand fracas : bien, me voilà rassuré. Une petite sonnette dorée se trouvait sur le comptoir, j'en fis donc bon usage.
Une petite voix venant de la pièce du fond me lança un timide sourire et s'avança vers moi :
« Bonjour monsieur, comment puis-je vous aider ? »
Je me présentai et vis la frêle demoiselle blêmir comme le chauffeur de taxi...

L'ombre derrière le rideau se rassit et soupira : « Encore un qui ne ressortira jamais du petit bonheur... »